Saint Bernard

lettre à Mélisende, reine de Jérusalem

 

L’an 1154

A sa très-chère fille en Jésus-Christ, Mélisende, reine de Jérusalem, Bernard, abbé de Clairvaux, grâces de miséricorde et de salut de la part de Dieu

1. Après avoir été habitué à recevoir souvent de vos lettres, je m'étonne que vous me négligiez tant à présent, car je n'ai pas oublié toutes les bontés que vous avez eues pour moi autrefois en bien des circonstances. Vous dirai-je qu'il m'est revenu je ne sais quels bruits fâcheux pour votre réputation, auxquels je n'ai pu croire, il est vrai; mais, fondés ou non, ils ne m'en ont pas moins peiné. Heureusement mon bon oncle André [de Montbard, sénéchal de l'ordre des Templiers], dont la parole est un oracle pour moi, me dit de vous, dans une de ses lettres, des choses bien meilleures que celles que propage la rumeur publique ; il me parle de votre conduite pacifique et modérée et me fait connaître le soin avec lequel vous vous entourez des conseils de gens habiles pour vous conduire et gouverner l’État. Il me dit que vous avez beaucoup d'estime et d'affection pour les chevaliers du Temple, que vous pourvoyez avec toute la prudence et la sagesse que Dieu nous a départies, au salut de votre royaume qu’assiègent une foule de dangers, et que vous recourez aux conseils et aux mesures les plus propres à vous faire atteindre ce but. C'est assurément ainsi que doit se conduire une femme forte, une humble veuve et une illustre reine; ne pensez pas que ce dernier titre ait rien à perdre à votre viduité volontaire ; au contraire, je crois que l'état de veuve ne vous fait pas moins d'honneur, surtout aux yeux des chrétiens, que votre dignité de reine. Vous tenez l'une de votre naissance, et vous n'êtes veuve que parce que vous avez la vertu de demeurer en cet état; la royauté est un héritage qui vous vient de vos aïeux, la viduité est un don du ciel: votre destinée vous a fait naître pour le trône, mais votre goût seul vous fait rester veuve. C'est pour vous un double honneur que ces deux titres, l'un selon le monde et l'autre selon la grâce; mais tous les deux vous viennent de Dieu. Si vous voulez savoir en quel honneur vous devez tenir la viduité, rappelez-vous les paroles de l'Apôtre qui disait: « Honorez les veuves, mais les véritables veuves (I Tim., V, 3). »

2. Le même Apôtre vous donne encore en bien des endroits le conseil salutaire de faire le bien « non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes (II Cor., VIII, 21) : » devant Dieu en qualité de veuve, et devant les hommes à titre de reine. Ne perdez jamais de vue cette pensée, c'est que les actions d'une reine, bonnes on mauvaises, ne peuvent demeurer cachées, car les rois sont placés sur le chandelier précisément pour être exposés aux regards des hommes. Quant aux veuves, rappelez-vous que, déchargées du soin de plaire à leurs maris, elles ne doivent plus songer qu'à se rendre agréables à Dieu. Quel bonheur pour vous si vous abritez votre conscience à l'ombre du Sauveur, si vous en faites le rempart avancé de votre honneur et de votre réputation ! quel bonheur, dis-je, pour vous, de vous abandonner tout entière à la conduite de Dieu comme une veuve qui n'a point d'autre consolateur ! Pour bien régner sur les autres, vous savez qu'il est nécessaire que Dieu règne entièrement sur vous. La reine de Saba vint entendre la sagesse (Matth., XII, 42) de Salomon, elle voulait aller à l'école d'un roi pour apprendre à gouverner ses propres sujets; or vous avez un maître plus grand que Salomon, puisque vous avez Jésus, et Jésus crucifié. Abandonnez-vous à sa conduite, apprenez à régner à son école: en qualité de veuve, retenez bien qu'il est doux et humble de cœur (Matth., XI. 29), et comme reine, songez qu'il jugera les pauvres en toute justice et se déclarera le vengeur des humbles qu'on opprime sur la terre (Isaï., XI, 4.). Ne séparez donc jamais dans votre esprit votre double titre de reine et de veuve, car si vous me permettez de vous dire ici toute ma pensée, vous ne sauriez faire une bonne reine si vous n'êtes une sainte veuve. Voulez-vous savoir à quelle marque on reconnaît la veuve chrétienne ? écoutez, c'est l'Apôtre qui nous l'apprend quand il nous dit: « Elle élève bien ses enfants, exerce l'hospitalité, lave les pieds des saints, console les affligés et fait toutes sortes de bonnes couvres (I Tim., V,10). » Estimez-vous bienheureuse si vous réunissez en vous tous ces traits de la véritable veuve, car vous ne pouvez manquer d'être bénie du Seigneur. Que le Dieu de Sion vous bénisse, Fille illustre dans le Seigneur et digne de tous mes respects! Vous voyez que je renouvelle le premier notre ancien commerce de lettres; j'espère bien que vous daignerez le continuer; vous avez maintenant un motif de m'écrire, vous n'auriez donc aucun prétexte à mettre en avant si désormais vous ne répondiez pas à mes avances par une fréquente et douce correspondance.

lettre CCLXXXIX, à la reine de Jérusalem

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome01/lettres/254-301/lettre289.htm#_Toc53399553

 

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