La figure du Baphomet
"Mais que signifient dans vos cloîtres, là où les religieux font leurs lectures, ces monstres ridicules, ces horribles beautés et ces belles horreurs? A quoi bon, dans ces endroits, ces singes immondes, ces lions féroces, ces centaures chimériques, ces monstres demi-hommes, ces tigres bariolés, ces soldats qui combattent et ces chasseurs qui donnent du cor? Ici on y voit une seule tête pour plusieurs corps ou un seul corps pour plusieurs têtes : là c'est un quadrupède ayant une queue de serpent et plus loin c'est un poisson avec une tête de quadrupède. Tantôt on voit un monstre qui est cheval par devant et chèvre par derrière, ou qui a la tête d'un animal à cornes et le derrière d'un cheval. Enfin le nombre de ces représentations est si grand et la diversité si charmante et si variée qu'on préfère regarder ces marbres que lire dans des manuscrits, et passer le jour à les admirer qu'à méditer la loi de Dieu. Grand Dieu ! Si on n'a pas de honte de pareilles frivolités, on devrait au moins regretter ce qu'elles coûtent." (extrait de l'Apologie de Saint Bernard adressée à Guillaume, abbé de Saint-Thierry)
Saint Bernard, abbé de la Claire Vallée, s'adressait à son ami Guillaume, abbé clunisien de Saint-Thierry. Les moines bénédictins de Cluny étaient les grands rivaux des moines de la Stricte Observance bénédictine. Chez les cisterciens, on a ignoré - voire récusé - l'usage des formes sculptées. Les fils de la Claire Vallée ont préféré une symbolique contemplative plus épurée, toute orientée sur une architecture offrant un jeu subtil d'ombres et de lumières où l'art de la géométrie répond à toutes les attentes symboliques.
La figure du Baphomet est donc étrangère à l'univers de la Stricte Observance. Par contre, le mouvement canonial des chanoines réguliers n'eut, lui, aucun scrupule à se référer à la statuaire des moines bénédictins de Cluny pour asseoir sa vie contemplative. L'approche symbolique qui consistait à incarner une réalité spirituelle à travers des images était même en total accord avec la théologie des chanoines réguliers qui suivaient la Règle de Saint Augustin.
Les Templiers avaient une règle de vie se référant aux usages de la Stricte Observance bénédictine mais cette Règle stipulait que les frères suivraient les offices selon les observances canoniales des chanoines réguliers de la cité sainte. C'est par le canal des chanoines réguliers que la figure dite du Baphomet , déjà présente dans la liturgie clunisienne, va s'introduire dans celle de l'ordre du Temple.
Les figures monstrueuses des moines bénédictins de Cluny s’appuient sur la tradition des décors sculptés de l'art roman du Moyen-Age. Les clunisiens n'ont pas inventé les monstres sculptés, mais leur puissance financière leur a permis de produire à grande échelle dans leurs monastères ces figures si déroutantes.
A l'origine dans l'art roman, la figure monstrueuse indique que l'on se trouve en présence d'un espace sacré, elle est souvent située à l'entrée des sanctuaires. Au Moyen-Age, l'espace n'est pas homogène mais hétérogène. Une séparation est faite entre l'espace religieux, sacré, et l'espace laïc d'un monde médiéval en proie à toutes les violences des seigneurs féodaux. La figure monstrueuse est d'abord là pour intimider le rustre qui voudrait violer l'espace sacré.
Quant à la diversité des formes souvent incongrue de ces décors sculptés, elle nous indique que nous sommes devant un langage symbolique réservé aux anges. Au Moyen-Age, les anges sont les moines qui ont décidé de mourir au monde pour renaître dans l'espace sacré qu'est le cloître, lieu de la "nouvelle Jérusalem" (Apocalypse, 21, 2). La nourriture de ces moines était le « pain des anges » incarné par ces figures sculptées qu'on pouvait admirer sur les chapiteaux de leurs cloîtres.
Les chanoines réguliers sont des clercs qui ont décidé de vivre en commun dans des cloîtres. Ils vont reprendre à leur compte cette tradition des figures monstrueuses. Le regard posé sur ces figures va cependant évoluer. Pour le chanoine régulier Hugues de Saint-Victor, dans son Commentaire de la hiérarchie céleste, une théorie esthétique va même se dégager. Selon Hugues :
"le laid plus que le beau prouve que les formes visibles ne sont qu'un symbole de la beauté parfaite et non point du Beau véritable. " Il écrit aussi: "Le beau physique nous trompe puisqu'il nous donne l'illusion de posséder le parfait, le laid est plus véridique puisqu'il nous contraint à désirer la beauté infinie que rien n'arrive à concrétiser."
C'est l'élévation spirituelle par l'intelligence des signes. Hugues de Saint-Victor le grand théologien des chanoines réguliers, nous dit aussi :
« puisqu'à son propre niveau , qui est très bas, le symbole dissemblable n'est absolument pas explicable, il faudra bien que l'effort de l'intelligence le porte vers le seul principe d'explication valable, qui est en haut. Le vide ou le scandale auront ainsi fait naître la question ; la question deviendra réflexion, et la réflexion anagogie. »
Dans le jargon théologique des chanoines réguliers, la figure monstrueuse dite du Baphomet est à l’origine une figure 'anagogique ' - c'est-à-dire une figure du ciel qui révélait un sens spirituel des Évangiles.
Les usages liturgiques des Templiers
Il n'est pas aisé d'étudier les pratiques liturgiques des Templiers mais les études récentes sur ce sujet ont permis d'établir un certain nombre de faits. Tout d'abord, les recherches menées par Anne-Marie Legras et Jean-Loup Lemaître ont permis de confirmer que les Templiers, à la différence des moines, suivaient le cursus à neuf leçons conformément aux usages des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Mais plus intéressant encore, une autre étude faite par Cristina Dondi, et citée par Simonetta Cerrini dans son ouvrage La Révolution des Templiers (pp 228-229), nous révèle que contrairement aux Hospitaliers, les usages des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre n'ont pas été appliqués en Europe par les Templiers. Il semble que les Templiers ont préféré suivre librement les différents usages liturgiques selon la communauté des chanoines réguliers qui était présente dans le diocèse où ils étaient installés.
Cette libéralité dans leur pratique liturgique eut quelques conséquences car chaque congrégation de chanoines réguliers avait ses propres spécificités dans sa liturgie. Certaines de ces pratiques locales vont s'introduire dans la liturgie du Temple. Ainsi on va constater chez les Templiers des pratiques bien curieuses, comme le fait par exemple que le Jeudi Saint dans leurs églises les prêtres devaient laver les autels et y jeter du vin et de l'eau. Puis tous les frères du Temple devaient adorer et baiser les autels et boire un peu de vin qui était versé dessus. (Règle de Curzon chapitre 348). Nullement pratiqué par les chanoines réguliers du Saint-Sépulcre, cet usage semble provenir de l'église de Limassol dans l'île de Chypre.
Cet exemple nous amène à aborder une autre pratique liturgique qui nous a été révélée à travers le procès des Templiers : celle où, pendant la réunion de leur chapitre, les Templiers introduisaient au milieu de leur assemblée une figure dont la description semble bien étrange.
Voici la déposition du Templier Hugues de Pairaud, maître de la province de France, faite à Paris le 9 novembre 1307 en présence du Grand Inquisiteur de France.
L'inquisiteur : Et cette tête humaine, dont il est question dans notre enquête ?
Le frère Hugues : Et bien ! Oui, je l'ai vue, tenue et palpée, à Montpellier, lors d'un chapitre, et je l'adorai ainsi que tous les autres frères présents. Mais c'était de bouche et par feinte, pas de cœur. Les autres frères, eux, j'ignore s'ils l'adoraient du fond de leur cœur .
L'inquisiteur : Où est-elle maintenant ?
Le frère Hugues : Je l'ai laissée avec le frère Pierre Alemandin, précepteur du Temple de Montpellier, mais j'ignore si les gens du roi l'ont trouvée. Cette tête avait quatre pieds, deux par devant, deux par derrière.
Le même jour, le Templier Raoul de Guy, receveur de finances royales pour la province de Champagne ajoutera :
L'inquisiteur : Maintenant parlez-nous de la tête.
Frère Raoul : Et bien, cette tête, je l'ai vue lors des sept chapitres que tenaient le frère Hugues de Pairaud et d'autres.
L'inquisiteur : Comment s'y prend-on pour l'adorer ?
Frère Raoul : Et bien, voilà : on la présente, tout le monde se prosterne à terre, enlève sa capuce, et l'adore.
L'inquisiteur : Comment est sa figure ?
Frère Raoul : Terrible ! Il me semblait que c'était la figure d'un démon, d'un maufé (esprit du mal). Chaque fois que je le regardais, une si grande terreur m'envahissait que je pouvais à peine le regarder, en tremblant de tous mes membres.
L'inquisiteur parle d'une tête humaine car il ignore de quoi il s'agit. Le dignitaire du Temple Hugues de Pairaud lui répond que la tête avait quatre pieds, deux par devant, deux par derrière. Le Templier Raoul de Guy de rajouter que c'est la figure d'un démon, d'un « maufé ». Nous avons donc affaire à une figure monstrueuse, le type de figure anagogique théorisée par le chanoines Hugues de Saint-Victor.
L'abbaye des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse
Nous retrouvons à l'entrée d'un des lieux les plus sacrés du Moyen-Age qui fut une étape importante du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle une figure monstrueuse, un maufé, qui correspond à la description que nous ont donné les deux templiers. Nous pouvons contempler cette terrible figure devant la porte sud de l'illustre basilique des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse – appelée aussi Porte Miègeville, c'est-à-dire 'porte du milieu de la ville'.
C'est aussi là, à notre connaissance, le seul endroit au monde où nous en sont données les clefs de lecture. Le monstre est représenté sur le corbeau central, au-dessus de la porte Miègeville. Il possède à la fois la tête du Sagittaire représenté sur un corbeau à sa droite, ainsi que les cornes de la Chèvre-Capricorne, représentée sur un corbeau situé à sa gauche. La tête du monstre Sagittaire situé à la droite est chevauchée par un personnage qui, sur la figure centrale, semble avoir été avalé par sa monture. Les deux pattes avant du monstre semblent appartenir au personnage et les deux arrière à sa monture : le Centaure-Sagittaire ne fait plus qu'un avec son cavalier.
C'est le solstice d'hiver qui est ainsi représenté. La figure du monstre hybride sosticial marque le moment entre le 21 décembre et le 22 décembre où la nuit est la plus longue de l'année et où le soleil est au plus bas dans le ciel – alors que l'astre lunaire est lui au plus haut. Ce moment se situe au passage du signe zodiacal du Sagittaire, qui court du 23 novembre au 21 décembre, à celui du Capricorne, du 22 décembre au 20 janvier.
La figure du corbeau central est aussi un monstre androphage – symbole de l’initiation par un processus de mort et de renaissance. Comme le soleil qui semblait mourir et va renaître au solstice d'hiver avec les jours qui vont commencer à se rallonger, le pèlerin qui contemple cette figure sans frayeur est prévenu que l'ancien homme en lui va mourir pour laisser renaître un homme nouveau.
Mais qui pouvait bien être cet homme nouveau ? Pour le comprendre, il faut admirer le tympan de la Porte Miègeville qui représente l'Ascension du Christ juste au-dessous du corbeau central représentant le solstice d'hiver.
On sait que la réforme canoniale du XI° siècle a voulu le retour à la vita apostolica, c'est-à-dire aux usages et à l'esprit de la communauté que formaient les apôtres à Jérusalem au lendemain de l'Ascension et de la Pentecôte. Le jour de l'Ascension représenté sur la Porte Miègeville nous rappelle les paroles du Christ (Actes I, 4-8) :
Alors, au cours d'un repas qu'il partageait avec eux, il leur enjoignit de ne pas s'éloigner de Jérusalem, mais d'y attendre ce que le Père avait promis, « ce que, dit-il, vous avez entendu de ma bouche : Jean, lui, a baptisé avec de l'eau, mais vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours. »
Étant donc réunis, ils l'interrogeaient ainsi : « Seigneur, est-ce maintenant, le temps où tu vas restaurer la royauté d'Israël ? » Il leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa seule autorité. Mais vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. »
Pour les chanoines réguliers de Saint-Sernin, l'homme ancien baptisé par Jean (Baptiste) dans l'eau devait faire place à l'homme nouveau baptisé dans l'Esprit-Saint (par Jean l’Évangéliste) pour restaurer la royauté d'Israël.
Saint-Sernin sera une étape décisive dans la préparation de la reconquête de Jérusalem. Suite au concile de Clermont où le 27 novembre 1095 Urbain II avait lancé son fameux appel à la Première Croisade, le pape séjourna un mois auprès de ses protégés, les chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse. C'est d'ailleurs à cette occasion qu'il consacra l'autel de la basilique le 24 mai 1096.
C'est dans ce lieu vénérable, la basilique Saint-Sernin de Toulouse que le comte de Toulouse Raymond IV de Saint-Gilles (1042-1105) fut désigné le chef militaire de ce nouveau peuple des baptisés de l'Esprit Saint qui allait libérer Jérusalem. Avant d'être investi par le pape Urbain II (1088-1099) dans cette fonction, il dut jurer sur le seuil de la Porte Miègeville, que les droits, les privilèges et les franchises de cette église seraient conservés et défendus.
Le pape Urbain II n'ira pas jusqu'à confier au comte de Toulouse la direction de la croisade, qu'il réservait à son légat Adhémar de Monteil. Dans l'esprit du pape, c'est aux religieux que revenait le privilège de mener l'expédition.
La figure du Paraclet des chanoines réguliers
Pour Urbain II, c'est sous l'impulsion du Saint Esprit annoncé par le Christ le jour de son Ascension que Jérusalem devait être libérée et que le royaume d'Israël serait restauré. A cette époque, l'ordre canonial des chanoines réguliers, qui avait partout décliné en Occident, à l'image de la vie apostolique des origines était en train de renaître. Nul doute pour le pape que cela se passait sous l'impulsion du Paraclet, l'esprit de consolation qui annonçait le Temps du Jugement à Jérusalem. L’Évangile de Saint Jean rappelle les paroles du Christ le jour de son Ascension (XV, 26-27) :
« Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage. Mais vous aussi, vous témoignerez, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement. »
Qui pouvait rendre meilleur témoignage de l'esprit de vérité que toutes ces nouvelles communautés de chanoines réguliers qui se formaient sous l'autorité de la Règle de saint Augustin ? C'est dans cet esprit de dévotion et de reconquête des âmes à Jérusalem mais aussi jusqu'aux extrémités de la terre que les chanoines réguliers de Saint-Sernin vont établir l'Esprit-Saint comme le patron de la basilique.
Cette fête tomba le jour de la Pentecôte – temps qui marque dans la liturgie romaine la descente de l'Esprit Saint sur le collège apostolique et qui devint la fête du chapitre de la basilique, marquant ainsi la naissance de la nouvelle église militante.
Dans la liturgie des chanoines réguliers de Saint-Sernin, cette dévotion pour l'Esprit-Saint va s'incarner à travers une figure bien particulière qui est ce monstre solsticial qui trône au-dessus de la scène de l'Ascension de la Porte Miègeville. Cette figure dite du Baphomet représente pour les chanoines de Saint-Sernin le Paraclet qu'ils présentaient au milieu de leur chapitre au temps de la Pentecôte – qui est aussi le temps de la restauration du royaume d’Israël.
En 1096, ce temps semblait près de se réaliser car de toute l'Europe des chevaliers s'armaient de leur propre initiative pour aller libérer Jérusalem sans le soutien d'aucun roi mais avec les encouragements des nouvelles congrégations de chanoines réguliers.
Les chanoines de Saint-Sernin de Toulouse avaient adopté la Règle de saint Augustin. Cette figure inquiétante du Paraclet qu'ils présentaient au milieu de leur chapitre le jour de la Pentecôte qui révélait la présence de l'Esprit Saint au milieu de l’assemblée, révélait aussi la véritable nature de l’Église naissante. Cette Église prônait les nouvelles valeurs de la Respublica Christiana comme énoncées par saint Augustin dans ses œuvres théologiques telle que la Cité de Dieu. Et c'est bien là le mystère de cette Première Croisade qui se réalisa sans la participation d'aucun roi - et pour cause. Le pape Urbain II est un pape grégorien qui prêchait la République Chrétienne qui devait se réaliser à Jérusalem.
L'homme qui était avalé par le monstre androphage de Saint-Sernin était ce personnage assujetti à la royauté féodale et qui allait renaître en un citoyen libre et égal en droits comme défini par saint Augustin dans la République chrétienne.
Implantation de la liturgie toulousaine en Aragon
Vers 1086-1088, l'évêque de Pampelune, Pierre d'Andouque octroie aux chanoines réguliers de Saint-Sernin le prieuré de San Saturnino d'Artajona non loin de Puente la Reina . C'est Uc de Conques, doyen des chanoines de Saint-Sernin, qui prendra la charge de ce prieuré en Navarre.
Après la libération en 1100 de la cité de Barbastro par le roi d'Aragon Alphonse le Batailleur, on décida de transférer le siège épiscopal de Roda de Isábena à Barbastro le 5 mai 1101. Cette décision était audacieuse car la cité de Barbastro se trouvait à la frontière avec les musulmans et toujours sujette à leur harcèlement.
Pour cette charge périlleuse, en 1104 on fit appel à Raymond Guillaume de Durban, prieur des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse. Avec cette nouvelle nomination d'un des leurs comme évêque de Barbastro (1104-1126) , les chanoines réguliers toulousains devinrent bientôt les maîtres spirituels du royaume d’Aragon et c'est leur liturgie qui s'y imposa.
Raymond Guillaume de Durban devint un des conseillers du roi d'Aragon et aussi par la suite évêque de Roda de Isábena. Quand Alphonse le Batailleur décida de s'attaquer à la grande cité musulmane de Saragosse, Raymond Guillaume de Durban s'engagea de son mieux pour soutenir le roi. En 1118, il est à Toulouse, où s'organise la grande offensive pour la conquête de Saragosse. De nombreux prélats étaient présents - comme les archevêques d'Arles et d'Auch, les évêques de Lescar, Bayonne, Pampelune – qui ramenaient avec eux de nombreux fidèles qui étaient prêts à s'engager dans l'expédition. Il y eut aussi un rassemblement de nombreux seigneurs et chevaliers occitans.
Tout ce monde fut conduit de Toulouse par le seigneur Gaston de Béarn, qui franchit les Pyrénées au col du Somport. C'est toute l’Occitanie qui se présentait devant les muraille de Saragosse.
La cité finit par se rendre le 18 décembre 1118. Avec cette victoire, le roi d'Aragon agrandissait considérablement son royaume qui jusqu'à là était circonscrit dans les contreforts des Pyrénées. La prise de Saragosse lui permit de contrôler la partie supérieure de la vallée de l'Ebre.
Cette victoire fut un événement considérable, qui poussa le pape Calixte II (1119-1124) à organiser à Toulouse un concile général le 8 juillet 1119 pour soutenir les nouvelles conquêtes. Le concile se tiendra dans la cathédrale Saint-Etienne. Le 16 juillet, Calixte II assisté de l'archevêque de Tarragone, Audegaire (1118-1137) et de l'évêque de Barbastro, Raymond Guillaume de Durban, consacra dans la basilique de l'abbaye des chanoines réguliers de Saint-Sernin un autel secondaire dédié à saint Augustin.- autel qui sera placé dans le coeur de la basilique pour être accessible aux pèlerins se rendant à Compostelle. C'est encore aux chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse que l'on fit appel pour évangéliser les nouveaux territoires. Cette fois-ci ce fut Michel Cornel, chanoine de Saint-Sernin qui devint évêque de Tarazona (1119-1151). Le nouveau diocèse de Tarazona comprenait les cités de Tudèle et de Calatayud, nouvellement conquises, dans lesquelles le toulousain s'empressa d'installer des chapitres de chanoines réguliers suivant les usages de l'abbaye de Saint-Sernin de Toulouse.
Le diocèse de Tarazona était une position stratégique très importante car elle assurait la couverture de toutes la frontière sud-ouest du nouveau royaume d'Aragon. Les chanoines réguliers toulousains devenaient chez eux en Aragon. Un document nous le confirme. Dans un contrat de vente établi par Alphonse d'Aragon à propos d'une huerta avec vignobles dans le bassin du Gallego, le toulousain Raymond Guillaume de Durban est cité comme évêque de Roda de Isábena et de Monzón – Monzón qui sera le futur siège de l'ordre des templiers pour la province d'Aragon.
Ce document nous conforte dans l'idée que la maison cheftaine des templiers pour la province d'Aragon suivait à Monzón la liturgie des chanoines réguliers selon les usages de Saint-Sernin de Toulouse. Nous citons la fin de ce document, qui date de l'an 1158 de l'ère espagnole – c'est-à-dire 1120 de notre ère :
« Ce contrat de vente en l'an 1158 de l'ère régnant Alphonse empereur en Castille et à Pampelune, en Aragon, en Sobrarbe et Rigagorza, et à Calatuyud et à Saragosse ; Pierre de Librana, évêque étant installé à Saragosse, Étienne étant évêque de Huesca et de Jaca, Guillaume à Pampelune, Raymond Guilhem à Roda et Monzón. Cyprien étant merino de Huesca, Banzo Fortunon merino de Jaca ; Gaston, vicomte exerçant l'autorité royale à Saragosse, Petro Semenez étant justicia, Quadrat, zalmedin. » Quand l'Islam était aux portes des Pyrénées de Pierre Tucoo-Chala, pp. 106-107
Création de la province templière d'Aragon
A la mort d’Alphonse le Batailleur, le 8 septembre 1134, le roi d'Aragon décédé sans héritier donne par testament le royaume d'Aragon aux trois ordres de chevalerie de Terre Sainte : l'ordre Saint-Sépulcre, celui de l’Hôpital et celui des Templiers.
Dans un premier temps, les Templiers ne désiraient pas s'installer en Espagne, ne voulant pas ouvrir un second front dans la péninsule ibérique alors que leurs capacités militaires étaient déjà à peine suffisantes pour la Terre Sainte. Mais l'importance des dons faits aux Templiers dans le royaume d'Aragon, plus le fait que le Comte de Barcelone, Raymond Beranger IV (1113-1162), s'était engagé pour un an chez les Templiers avec une vingtaine de seigneurs catalans, obligea l'ordre du Temple à revenir sur ses positions.
Au concile de Gérone le 27 novembre 1143, un accord est conclu entre le comte de Barcelone et roi d'Aragon, Raymond Beranger IV, et les Templiers. La province templière d'Aragon est créée. Un certain nombre de forteresses leur sont cédées telle que celle du futur siège de la province à Monzón.
La maison cheftaine de l'ordre des Templiers à Monzón contrôla des territoires qui dépassaient largement le seul royaume d'Aragon. Son autorité s'étendit sur la Catalogne et au-delà des Pyrénées, sur le Roussillon ainsi que sur les territoires du Languedoc jusqu'en Provence. Car le comte de Barcelone, devenu roi d'Aragon, était aussi comte de Provence. C'est pour cette raison que la province templière d'Aragon est parfois aussi dénommée province de Provence et de partie d'Espagne.
Les Templiers de cette puissante province qui recouvrait tout le sud de la France et le nord-est de l'Espagne héritèrent aussi des usages des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse.
Une fois la création de la nouvelle province templière officialisée, le toulousain Michel Cornel, évêque de Tarazona, fait donation aux templiers de plusieurs maisons dans la cité de Tarazona le 13 mai 1144. Le 11 novembre 1145 il leur cède l'église de Ribaforada où les templiers créent une commanderie chargée de protéger la vallée de l'Ebre et le 9 février 1148, il concède à l'ordre l'église d'Ambel. L'ancien chanoine de Saint-Sernin semble aux petits soins pour ses amis Templiers (chartes du Marquis d'Albon pour l'Espagne :ID 333.ID 367.ID 368.ID 500).
La seule preuve tangible que les templiers d'Aragon aient suivi les usages des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse se situe dans l'église de la commanderie templière de Monsaunès en Comminges qui faisait partie de la province d'Aragon. On peut y admirer le monstre solsticial avalant la voie lactée, la même figure que celle représentée à côté de l'apôtre saint Jacques sur la Porte Miègeville de Saint-Sernin de Toulouse.
La voie lactée symbolise le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle en Galice. La Galice était considérée au Moyen-Age comme l'extrémité de l'occident, c'est-à-dire du soleil couchant, et c'est précisément au bout de l'occident que la lumière de l'esprit de la respublica va renaître sur les ténèbres de la société carolingienne en pleine décadence féodale.
C'est à travers les usages liturgiques des Templiers de la province d'Aragon que la figure du Paraclet va faire son apparition dans les chapitres de la milice. On peut remarquer que cette mystérieuse figure, appelée aussi Baphomet, se propagea ensuite à tout l'ordre comme le prouve le Baphomet de la commanderie templière de Saint-Bris-le-Vineux dans l'Yonne qui faisait partie de la province templière de France.
Le décor sculpté de cette commanderie templière s'adresse aux pèlerins qui prenaient le départ pour Saint-Jacques-de-Compostelle à Vézelay qui n'est qu'à une quarantaine de kilomètres de la commanderie de Saint-Bris-le-Vineux.
La figure du solstice d'hiver est indissociable du pèlerinage de Saint-Jacques .Elle est la figure initiatique par excellence de l'Occident et elle le restera manifestement bien après la fin de l'ordre des Templiers comme semble l'indiquer la figure du Baphomet de l'église Saint-Merri à Paris qui date du XVI° siècle.
Cette figure du Baphomet qui semble marquée par l'idéologie gnostique est représentée à quelques centaines de mètres de la Tour Saint-Jacques - départ des pèlerins parisiens pour le grand pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, ce grand voyage au bout de l'Occident.
L'origine du nom Baphomet
La prise de la grande cité de Saragosse en 1118 allait entraîner la reddition d'un nombre impressionnant de cités musulmanes dans la vallée moyenne de l'Ebre avec Tarazona, Soria, Boya et Tudèle en 1119, puis les belles cités fortifiées de Calatayud et Daroca en 1120. Avec toutes ces redditions, les aragonais et occitans se trouvaient à la tête de plusieurs dizaines de milliers de musulmans qui avaient choisi de rester chez eux malgré la domination chrétienne. Mais après cette victoire spectaculaire, on pouvait craindre une contre-offensive musclée des sarrasins. Dans ce cas l'attitude des populations autochtones nouvellement conquises pouvait très vite se retourner contre les chrétiens. Toute la stratégie des chanoines réguliers de l'abbaye toulousaine consista à convaincre cette population musulmane qu'avec les chrétiens elle allait pouvoir accéder au statut de citoyens de la nouvelle République que les chanoines étaient bien décidés à instaurer dans le royaume d'Aragon. C'était d'ailleurs le même projet que l’Église grégorienne voulait appliquer dans les nouveaux états latins de Terre Sainte.
Les chanoines toulousains savaient pertinemment que pour les musulmans le jour de l'Ascension , quand Jésus annonce la venue d'un Paraclet, il annonçait pour eux la venue du prophète Mahomet. Le message des évêques issus de Saint-Sernin était que le Paraclet, le Mahomet des musulmans, était en réalité l'Esprit de consolation qui annonce la réalisation de la République à l'échelle universelle.
C'est pour cette raison qu'ils présentaient aux musulmans la figure anagogique du solstice d'hiver qui était présente au sein de leur chapitre le jour de la Pentecôte comme le signe de ce nouvel Esprit Saint qui devait tous les réunir autour des valeurs républicaines. C'est très probablement dans ce royaume d'Aragon tout neuf qu'on entendit pour la première fois résonner ces paroles : «Adorez cette tête, voici votre Dieu, voici votre Mahomet ». Et les musulmans de répondre : « Yah Allah ! » - c'est-à-dire « splendeur de Dieu ». Ces mots ont été cités par un témoin lors du procès des Templiers à Florence. « Istud caput, vester Deus est, et vester Mahumet ». Quant à la réponse « Yah, Allah ! », elle nous est donnée par le Templier Raymond Rubéi, qui dans son interrogatoire précise même que c'est un mot des sarrasins, « verbum Sarracenorum ».
En langue d'oc, Mahomet se prononce Baphomet – ou pour être plus exact « Bafomet », avec un ' f ' ou deux ' ff ' , le 'ph' étant une transcription du latin médiéval comme il ressort d'une lettre écrite en 1098 par un chevalier de la Première Croisade, Anselme de Ribemont.
« Sequenti die aurora apparente, altis vocibus Baphometh invocaverunt; et nos Deum nostrum in cordibus nostris deprecantes, impetum facientes in eos, de muris civitatis omnes expulimus »
« Alors que l'aurore du jour suivant apparaissait, ils invoquèrent à haute voix Baphomet (Mahomet) tandis que nous prions le nom de notre Dieu dans notre coeur, puis nous les attaquâmes et les expulsâmes hors des murs de la cité »(http://www.paranormal-encyclopedie.com/wiki/Articles/Baphomet)
A Carcassonne, lors du procès, le Templier occitan Gaucerand de Montpezat parlera d'une idole « en figure de Baffomet » « in figurarom baffometi ».
On a maintes preuves dans la littérature occitane que Mahomet se prononce Bafomet, comme dans les vers du troubadour Austorc d'Aorlhac :
« E qu'Azorem Bafomet lai on es. »
"et adorer Mahomet là où il est"
ou encore dans ceux du troubadour Gavaudan :
«... ab Luy venseretz totz los cas/ cuy Bafometz a escarnitz/ e les renegatz outrasalhitz. »
"... avec lui (Jésus) vous vaincrez tous les chiens, que Mahomet a égaré, et les renégats outrageux.."
De même chez les occitans, une mosquée devient une « bafomeria » ou « bafumaria » comme dans les écrits de Raymond d'Aguilers, chroniqueur de la Première Croisade :
« In ecclesiis autern magnis Bafumarias faciebant … habebant et monticulum .... ubi erant Bafumariae. »
On a même les vers d'un templier occitan nommé Ricaut Bonomel, qui dans les années 1265 intitule son sirventès « Ir'e dolors s'es dins mon cor asseza... ». (« La colère et la douleur ont tellement rempli mon cœur. »). Dans le vers 23, il dit :
« Et Mahomet agit de toutes ses forces »
ce qui en occitan donne :
« E Bafometz obra de son poder. »
et plus loin, vers 29,
« qu'au contraire il fera une mosquée de l'église de Sainte Marie » :
« Enans fara bafomaria del mostier de sancta Maria. »
La confusion et les tergiversations sur la nature du mot Baphomet viennent en grande partie du fait que l'on ne comprend pas pourquoi les Templiers auraient dit dans leurs chapitre « voici votre Dieu, voici votre Mahomet » alors que les Templiers étaient censés tous être d’origine chrétienne.
Si dans un premier temps, il est logique de penser que dans leur politique de conversion des populations musulmanes à la République chrétienne, les chanoines réguliers toulousains ont commencé à prêcher dans les anciennes mosquées transformées en églises en Aragon, on soupçonne tout de même fortement que par les souterrains de la forteresse de Monzón, les seigneurs musulmans de la vallée de l'Ebre assistaient secrètement au chapitre des Templiers. Et cela en Aragon, bien avant la chute du Premier Royaume de Jérusalem en 1187. Cette discrète soumission des seigneurs musulmans leur évitait probablement de payer les lourds tributs que les comtes de Catalogne et rois d'Aragon exigeaient de leurs voisins musulmans.
Entrée du souterrain de l'église templière de la forteresse de Monzon, lieu de réunion du chapitre de la province d'Aragon
On sait aujourd'hui que des membres de la dynastie des Ayyûbides en Terre Sainte ont participé au chapitre général des Templiers tenu à Saint-Jean d'Acre en 1244. Ce chapitre tenu sous la direction du grand maître Armand de Périgord (1232-1244) était exceptionnellement ouvert à tous et ont pu y participer prélats et barons de Terre Sainte. La présence de musulmans lors de ce chapitre général fit grand bruit, et certains s'en offusquèrent. Mais si ce chapitre général des Templiers était public, tous les autres ont été tenus hors de portée des oreilles indiscrètes. Certains indices, comme les articles de la Règle secrète des Templiers, laissent à penser que la coutume d'accueillir des musulmans lors de ces chapitres en les faisant passer par des couloirs souterrains fut une pratique beaucoup plus répandue qu'on ne le pense – tout du moins en Terre Sainte à partir du Second Royaume de Jérusalem (1192-1291) où les chapitres généraux se tenaient à Saint-Jean-d'Acre.
Malgré l’aspect controversé de ces documents, nous citerons deux des articles de la Règle secrète rédigée en 1240 par le dignitaire Roncelin de Fos, templier de Provence.
Article 7 des Frères Consolés :
A vous qui êtes saints, tout est permis. Cependant, il faut vous garder d'abuser de cette permission. Ne laissez jamais rien soupçonner de ce que vous êtes autour de vous. Ayez dans vos maisons des lieux de réunions vastes et cachés auxquels on accédera par de couloirs souterrains, pour que les Frères puissent se rendre aux réunions sans risques d'être inquiétés.
Article 9 des Frères Consolés
Vous recevrez fraternellement les Frères de ces groupements et de même, les Consolés d'Espagne et de Chypre recevront fraternellement les Sarrazins, les Druses et ceux qui habitent le Liban. Et si l'Esprit divin animait des Sarrazins ou des Druses, vous pouvez les admettre comme Élus ou comme Consolés.
On prononçait ces paroles dans les chapitres généraux des Templiers «Adorez cette tête, voici votre Dieu, voici votre Mahomet » tout simplement parce qu'on présentait la figure du Paraclet aux chefs musulmans qui étaient présents lors de ces chapitres – d'abord en Espagne, dans la province d'Aragon, puis après la Troisième Croisade dans les chapitres généraux des Templiers tenus à Saint-Jean d'Acre.
Il n'était pas facile pour un Templier venu du nord de la France, habitué à la spiritualité cistercienne, d'avouer qu'il ne comprenait absolument rien à toute cette liturgie et que cette horrible figure apparaissant au milieu de son chapitre lui faisait plus peur qu'autre chose. Dans l'esprit des Templiers occitans de la province d'Aragon qui ont introduit cette figure au sein du chapitre général des Templiers, la maîtrise de la signification symbolique de cette figure était au contraire la marque que l'on était digne d' être présent au sein de ce chapitre et cela que l'on soit catholique romain, druze ou sarrasin.
Au chapitre général tenu à Saint-Jean d'Acre en 1202, un certain nombre de dignitaires du Temple présents à ce chapitre formulèrent le voeu de quitter l'ordre pour entrer à Cîteaux comme la règle de l'ordre le leur permettait avec la permission du Grand Maître. Le Grand Maître, Philippe du Plessis (1201-1209) leur refusa ce droit. Une lettre écrite au pape Innocent III (1198-1216) fait état de ces événements. Philippe du Plessis se justifiait en disant " qu'ils agissaient non par vocation d'une vie contemplative mais pour des raisons de révolte." Le Grand Maître ne dut guère se faire entendre, puisque le pape Innocent III fut obligé d'adresser à l'abbé de Cîteaux et au chapitre général de cet ordre la bulle Licet quibusdam daté du 2 juillet 1209 leur interdisant de recevoir des frères templiers. on peut croire que cette vague de désertions au sein du Temple était liée à la réforme de la liturgie en Terre Sainte et à l'apparition au sein du chapitre général de ces 'nouveaux amis du Temple'. Nous connaissons au moins un de ces templiers renégats. Il s'agit du templier Artaud. L'histoire a retenu son nom car en quittant l'ordre des Templiers pour rejoindre les cisterciens, Artaud avait emmené avec lui une relique: un morceau de la Vraie Croix qu'il offrit à l'abbaye cistercienne de la Claire vallée , tout un symbole.
La figure aux trois visages
Nous n'avons présenté ici qu'une facette de la figure du Baphomet. En réalité, au Moyen-Age, le solstice d’hiver aura trois visages bien distincts. Sous l'autorité de l'ordre de Cluny, le solstice d'hiver est le signe de la naissance du Christ en Gloire, le Christ Pantocrator, qui ouvre la voie à travers le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle à l’initiation du Saint-Empire romain avec les mystères de l'aigle bicéphale.
Ensuite, et seulement à partir de la toute fin du XI° siècle, le solstice d'hiver va devenir pour les chanoines réguliers la marque du Paraclet de la Republica Christiana qui ouvre la voie à l’initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech.
En dernier lieu, et avec la dérive gnostique de certains chanoines réguliers, s’ouvrira un troisième rituel initiatique : celui de la religion du prêtre Jean qui se veut une religion au-dessus de toutes les religions.
Le solstice d'hiver va alors prendre en Occident un caractère de plus en plus 'luciférien' voire diabolique. La figure du Baphomet de l'église Saint-Merri à Paris est un exemple tardif de ce qui est déjà en œuvre à travers le Lucifer androphage de la Divine Comédie du poète florentin Dante Aligheri au début du XIV° siècle.
A l'image de Saturne-Chronos dévorant ses enfants, dans la religion du Prêtre Jean c'est sous le regard d'un diable gnostique que se fera le voyage au bout de l'Occident. Dorénavant la mort et la renaissance de l'homme ne signifiera plus le passage du laïc au religieux des moines clunisiens, ni même du sujet au citoyen des chanoines réguliers, mais plus prosaïquement du profane à l'initié.
Par Jean-Pierre SCHMIT