l'acte de consécration de Santa Maria de Ripoll (15 novembre 977)
Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Après la vénérable ascension corporelle de Notre-Seigneur Jésus-Christ, une fois effacée la souillure de la nature humaine avec l'antidote du salut, alors le pieux collège des Apôtres prêchait dans les maisons les choses qu'ils avaient apprises de leur bon maître dans l'obscurité, d'importantes phalanges de gentils, une fois supprimée l'erreur des idoles, courbèrent la nuque du joug très doux du Sauveur, et, pour ainsi dire, par toutes les régions de l'univers, brillèrent les évêchés et les monastères, que le zèle religieux de très saints personnages construisit pour permettre l'exercice des divins mystères, estimant que ce serait un avantage d'utilité commune si, comme habitacle terrestre dédié au Christ, la propre sainte dévotion des fidèles devenait ici même le domicile de l'Esprit Saint.
Parmi eux se trouva Guifred, dont le souvenir n'est pas oublié, comte et, pour avouer la vérité, patrice chéri de ses sujets, homme puissant par le degré de sa noblesse, brillant d’un éclat immarcescible par la force de ses vertus ; c'est lui qui, entre autres édifices ecclésiastiques, après avoir expulsé les fils d'Agar qui jadis s'y étaient trouvés comme colons, mit en culture la terre déserte conformément à la coutume selon le système des aprisions, construisit le monastère de Ripoll en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie, y rassembla de toutes parts des cénobites, afin qu'ils y louent en permanence le Tout-Puissant avec des louanges en forme d'hymnes ; il l'enrichit ensuite de très vastes propriétés, l'orna de privilèges libéraux et enfin, au terme des combats de l'existence, il se livra pour y être enterré au lieu même qu'il avait pris la charge de décorer. Ensuite, la vénérable descendance qui lui succéda, pourvue en abondance de nourritures divines, exaltée dans les comices impériales, c'est-à-dire Miró et Sunyer, ne veillèrent pas moins que leur géniteur à augmenter et protéger les possessions du même monastère. Et tout autant l'illustre lignage qui leur succéda, à savoir Seniofred, Guifred, Miró, révérend pontife, Oliba et Borrell, très éminents comtes, armés de l'amour, se préoccupèrent d'achever ce que leurs pères avaient entrepris, accordant d'innombrables dons, établissant des propriétés, affranchissant des cens, obtenant des privilèges du siège apostolique, sollicitant également un décret du basileus Louis, et enfin, scrutant avec une investigation scrupuleuse les choses contraires qui dans le présent et le futur gênent les cénobites du même lieu comme celles qui nuisent à leurs possessions, ils les éliminèrent radicalement. A l'époque si glorieuse où ils vivaient, le seigneur Arnulf fut le vénérable abbé du lieu susdit;c'était un homme digne de louange à tous égards qui, promu par la suite pontife du siège de Gérone, remplit en même temps son sublime office dans l'une et l'autre armée. C'est lui qui, décidant d'établir les fondations de l'église qui est aujourd'hui en place, abandonna sa tâche, après que la fabrication eût longtemps traîné, écarté par la barrière de la mort. Après quoi le seigneur Guidiscle, père des moines par l'exercice normal de sa fonction, persévérant au prix de beaucoup de sueur, acheva la construction ; il la fit beaucoup plus grande que la précédente, surélevée d'un beau mur et d'une couverture de voûte ; une fois achevée, il se hâta de la faire dédicacer sur-le-champ. Soutenu d'abord par l'aide du Tout-Puissant, mais aussi ensuite par celle du seigneur comte Oliba, il y réunit avec l'accord de ce dernier une assemblée de pieux évêques, abbés et chanoines.
Ainsi donc, dans le cours du soleil, en 977 de l'Incarnation du Seigneur, ère 1015, indiction 5, le 17 des calendes de décembre, avec l'accord de Celui qui se définit par la préservation de toutes les choses, par la main de Miró, évêque de Gérone, Fruia, évêque d'Ausone, et Guisad, évêque d'Urgell qui, bien qu'absent de corps pour être sur le chemin du seigneur Pierre, fut cependant présent par l'esprit, avec l'assistance des chanoines et de l'assemblée des religieux abbés, en présence d'Oliba, insigne marquis, et des autres personnes de l'une ou l'autre condition, regroupées autour de leurs titres enracinés ici et là : à savoir d'abord celui du Seigneur Notre Sauveur, que le comte Sunyer établit avec une dévotion toute spéciale, afin que sa mémoire soit conservée à perpétuité dans les prières, en second lieu celui de saint Michel Archange, que dédicaça tous deux le seigneur Miró pasteur de Gérone ; en troisième lieu celui de saint Pons, que construisit également le comte Miró pour la protection de son âme, en quatrième lieu enfin le titre de la Sainte Croix, qu'oignit Fruia, évêque d'Ausone. Avec ces églises, la maison terrestre fut consacrée habitation du Christ, avec de grandes festivités issues des régions lointaines de ceux qui arrivaient, et enfin elle fut décorée d'hymnes et de professions de foi. Ensuite le vénérable comte Oliba, déjà souvent mentionné, s'appliqua de sa propre incitative à faire consacrer, par la dédicace de l'évêque Fruia dans le diocèse de qui il est connu qu'elle se situe, l'église qui ici même est érigée en l'honneur des saints Pierre et André, afin que cela soit profitable au remède des âmes : la sienne, celles de son père et de sa mère, et également de son frère, à la suite de qui il parvint au sommet de leur dignité et pouvoir.
Ainsi donc, ne s'écartant en rien de l'entreprise d'achèvement, brûlant toujours, en vertu de l'office transmis par son père, du même souci de protection envers ce lieu, devant la présente assemblée réunissant évêques, abbés, chanoines et leurs fidèles, ainsi que le seigneur Borrell, vénérable comte, qui tous étaient présents et visibles, avec une grande finesse d'esprit et avec le consentement de tous, il promulgua un décret d'après lequel le monastère susdit jouirait toujours d'un statut inaltéré lui assurant la liberté vis-à-vis de tout joug, ainsi que le déclare le document suivant composé par les princes : Fruia, prélat par la volonté vénérable du Dieu insigne, Miró, au nom de Dieu humble évêque de Gérone, Fruia évêque d'Ausone, Guisad éminent prélat d'Urgell, Sunyer pasteur d'Elne, Vives, insigne pasteur de Barcelone, et le seigneur Oliba, le seigneur Borrell, le seigneur Gauzfred, très excellents comtes. Qu'il soit connu de tous ceux qui jouissent de la protection de notre pontificat que, sans nous écarter le moins du monde des traces paternelles, bien que la petitesse humaine n'ait pu accroître l'honneur du fondateur, conservant cependant le rite séculaire dans la dédicace du monastère de Ripoll, avec l'accord de nos fidèles qui étaient présents, renouvelant et confirmant les décisions paternelles et ses décrets, nous établissons de notre propre autorité et prescrivons de conserver indéfiniment avec la plus grande révérence la décision suivante : à savoir que les possessions que nos ancêtres, ainsi que le montre la cédule déjà mentionnée, concédèrent à ce monastère à l’aide des documents accordés, et que le faîte de notre dignité a augmentées en faisant au nom de la foi d’abondantes largesses, ainsi que celles qui ont été ou seront justement concédées pour la rédemption de leurs âmes par des hommes fidèles, et également celles que les moines dudit monastère ont acquises justement ou acquerront selon une procédure légale dans les comtés d'Ausone, Barcelone, Gérone, Roussillon, Empúries, Peralada, Vallespir et Besalù, et dans les pagus d'Urgell et Berga, avec toutes leurs limites et dépendances, toutes ces possessions, nous les concédons à l'abbé Guidiscle et à ses successeurs et nous leurs donnons sur elles une liberté telle qu'ils les tiendront et les posséderont sans la moindre opposition et les défendront en notre nom et en celui de nos fils, selon quelles sont situées dans chaque comté, ainsi qu'il est dit et que l'attestent les écritures concernant ces comtés. En outre, la grandeur de notre majesté établit ceci : qu'aucun comte, pontife, juge public ou autre autorité n'ait le pouvoir, pour les biens susdits, de trancher les affaires, d'exiger de l'argent ; que personne ne puisse juger les hommes qui y demeurent ni pour homicide ni pour incendie ou vol, ni pour quelque cause que ce soit. Et quand les abbés quitteront ce monde, ils éliront eux-mêmes parmi eux les abbés selon la règle de saint Benoît.
Si quelqu'un à l'avenir, oubliant le respect dû à notre éminence, n'hésite pas, avec une impudente présomption, à s'élever contre ce document de notre autorité, qu'il sache qu'il sera châtié par la sanction canonique et légale ; que tout d'abord il soit privé de communion et éloigné du seuil de la mère Église ; il partagera la malédiction avec Datan et Abiron, que, une fois enfoncés, le gouffre de la terre a engloutis, et avec Judas, qui, à l'instigation du Diable, n'hésita pas à trahir le Seigneur Notre Sauveur. Et lorsqu'il se présentera devant le tribunal pour y être jugé, qu'il sache qu'il devra payer la composition que les prescriptions de la loi ont établie.
Et pour que cette concession de notre autorité se maintienne plus ferme dans la succession des temps, nous nous sommes appliqués à la renforcer par notre main et notre signature.
Frugifer, humble prélat d'Ausone, en l'honneur de la bienheureuse Marie, j'inscris ma souscriion.
Ennego, archiprêtre.
Patricius, prêtre, quoique indigne.
Sunirdus, prêtre.
Selva, diacre.
Guillerm, diacre.
Borrell par la grâce de Dieu éminent comte et marquis qui de bon cœur a eu le souci de manifester son accord à cet écrit.
Oliba par la grâce de Dieu comte.
+ Miró par la grâce de dieu évêque de Gérone.
Teudericus, abbé.
Miró, prêtre.
Vuigila, prêtre.
Odoacre, prêtre.
A. Original perdu.
Edition : Pierre de Marca, Marca Hispanica sive limes hispanicus, Paris, 1688, app. CXXIII, col. 917-919 (ex chartulario monasterii Rivipullensis).
Traduction castillane : José M Pellicer y Pagès, Sancta Maria de Ripoll. Nobilísimo origen de este Real Santuario, sus glorias durante mil aňos y su oportuna, conveniene y fàcil restauracíon, Gérone, 1878, p. 169-172
Traduction catalane : Josep Maria Salrach, El comte-bisbe Miró Bonfill i l'acta de consagració de Ripoll de l'any 977, Miscellània Aramon i Serra, Barcelone, 1984, t. 4, p. 304-307
source: M. Zimmermann, « Les prémices d'une historiographie catalane : l'acte de consécration de Santa Maria de Ripoll (15 novembre 977) »