Les Supérieurs Inconnus

 

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Stèle du grand prieur du Temple, Amador de la Porte (1639-1644),  

musée du Louvre, Paris

 

La particularité du grand prieur hospitalier de France plus communément appelé grand prieur du Temple1, est qu’il n'était pas nommé par le grand maître de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Malte mais à Paris, puis Versailles, par l’administration royale.  

 

Amador de la Porte, reçu de minorité chevalier de Malte le 11 juin 1582, puis chevalier en 1584, sera le tuteur du futur cardinal de Richelieu (1585-1642) premier ministre du roi de France Louis XIII. 

 

En 1626, c’est probablement Amador de la Porte, vice-amiral de France, qui suggère à son neveu Richelieu d’engager des chevaliers de Malte pour renforcer le corps des officiers de la Marine française.

 

L’ordre des Chevaliers de Malte, en tant qu’organisation internationale et ayant le souci de son indépendance, affectait de garder une honnête neutralité vis-à-vis des états européens. De plus, la religion des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, en tant que chevalerie au service de la défense de la chrétienté, s’interdisait formellement d’engager le combat contre des chrétiens. 

 

Cependant, au XVIIe siècle, à partir du Grand Prieuré du Temple de Paris, va se mettre en place au sein de l’ordre de Malte un réseau parallèle pour recruter des chevaliers au service des armées du roi de France. Cette organisation informelle finira par devenir le poil à gratter de la Royal Navy. 

 

L’un des chevaliers de Malte les plus doués de sa génération, le vice-amiral de France Pierre-André de Suffren (1729-1788) sera surnommé « l’amiral Satan » par les Anglais. 

 

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Trois ans avant la Révolution Française, le 6 juillet 1786, dans une lettre que le grand maître de l’ordre de Malte Emmanuel de Rohan-Polduc (1775-1797) adresse à son ami le bailli de Suffren, il lui écrit: « Nous avons la morgue des anciens Templiers, avec une avidité qui nous mènera à la fin comme eux. »2  

 

L’implication des chevaliers de Malte dans les guerres menées par la France en feront des cibles privilégiées pour ses ennemis. On pense notamment à cette guerre d’influence menée à travers les légendes des hauts grades de la franc-maçonnerie et particulièrement au grade templier de l’ordre sublime des chevaliers élus ou chevaliers Kadosh.

 

La légende de ce grade créée à l’origine par des chevaliers français dans la décennie 1740 et qui révèle aux frères francs-maçons qu’ils sont en réalité des Templiers va devenir, pendant la Guerre de 7 ans (1756-1763) qui oppose l’Angleterre et la Prusse à la France et l’Autriche, l’enjeu de toutes les manipulations. 

 

Les premiers à réagir seront les Prussiens grâce à des prisonniers français avant 1761. Sous l’autorité du franc-maçon Frédéric II, roi de Prusse, la légende du Kadosh va développer de nouvelles instructions secrètes dans lesquelles les maçons de ce grade doivent chercher à se réapproprier les biens des Templiers, autrefois confisqués par l’ordre de Malte. Cela devait amener à la conquête de l’île de Malte. 

 

Toujours pendant la Guerre de 7 ans, les Anglais ne seront pas de reste. En mars 1762, ils feront prisonnier un agent français, Etienne Morin, en partance pour l’île de Saint-Dominique où il doit préparer la venue de Louis-Armand-Constantin de Rohan, nommé chef d'escadre en décembre 1764 puis gouverneur de l'île de Saint-dominique en janvier 1766. Étienne Morin, négociant de son état, est franc-maçon, porteur d’une patente de Grand Inspecteur pour les territoires du Nouveau Monde délivrée par la Grande et Souveraine loge de Saint-Jean de Jérusalem établie à l’Orient de Paris. Cette patente l’autorise à diffuser le grade de Kadosh présenté comme le nec plus ultra de l’Art Royal. Cette patente, datée du 27 aout 1761, est signée par plusieurs hauts dignitaires de la franc-maçonnerie française parmi lesquels on retrouve le prince de Rohan Louis-Armand-Constantin, cousin du futur grand-maître de l’ordre de Malte, Emmanuel de Rohan-Polduc, lui aussi franc-maçon, et par le chevalier Maximilien-Henri de Saint Simon, marquis de Sandricourt cousin du très influent Claude de Saint-Simon (1694-1777), chevalier de Malte reçu en 1727, grand croix de l'ordre de Malte en 1735, général des galères de l'ordre, puis bailli de l'ordre en 1736 et plusieurs fois ambassadeur de l'ordre, à Naples, en Sicile et à Paris.

 

Pendant sa captivité en Angleterre, Étienne Morin sera retourné par le contre-espionnage anglais. De retour dans l’île de Saint-Dominique en 1763, affublé d’un agent de liaison dénommé Henry Andrew Francken, Étienne Morin va diffuser une légende du chevalier Kadosh où il est affirmé en toutes lettres cette fois-ci: « Ils (les Templiers) jurèrent une haine implacable aux chevaliers de Saint Jean qui possèdent encore aujourd’hui tous leurs biens. Cette haine fait partie de l’obligation ou du serment des grands élus chevaliers templiers.»3 Au cas où le message n’était pas assez clair, les Anglais rajouteront un peu plus loin: « N’ a-t-on pas essayé de vous préparer à la haine implacable que vous avez juré aux chevaliers de Malte sur qui vous devez venger la mort de Jacques de Molay.4

 

Petit détail croustillant, contrairement à la version française de Quimper 1750 du chevalier Kadosh, où les Templiers après la destruction de leur ordre se seraient réfugiés en Écosse: dans la version Saint-Dominique 1764, il est dit, concernant les Templiers : "ceux qui avaient échappé à la persécution et s'étaient retirés dans l'isle de Rhodes furent obligés de se déguiser."6. On remarque qu'à cette époque les Anglais se méfiaient beaucoup des Écossais et qu'ils préferaient encore voir les Templiers déguisés en chevaliers hospitaliers plutôt que de légitimer la version écossaise. Autre détail révélateur, les Anglais se trompent sur le nom du pape qu'ils appellent Clément six au lieu de Clément cinq.

 

En opposant farouchement les frères templiers aux chevaliers de Malte en pleine guerre contre la France, Londres et Berlin démontraient qu’ils n'étaient pas dupes et qu’ils savaient pertinemment qui se cachait derrière le grade maçonnique du chevalier Kadosh. D'ailleurs, cela ne devait pas être si difficile que cela à deviner, puisqu'une indiscrétion sur le rituel du Kadosh de la part du sieur Cadet de Gassicourt en 1794, nous révèle que les frères maçons de ce grade: " se prennent les mains comme pour se poignarder. Ils portent, pour se reconnaître, un anneau d'or émaillé de rouge; et dans le cas de danger ils ont sur la poitrine une croix de Malte de drap écarlate. Lorsqu'ils entrent dans une loge, ils ont seuls le droit de traverser dans le milieu du tapis qui est vis-à-vis le trône. Tous les francs-maçons des loges ignorent qui ils sont."7

 

Parmi les chevaliers de Malte au service de la France qui ont proposé une belle opposition à la Royal Navy, on peut citer l'amiral François Joseph Paul  comte de Grasse, marquis de Tilly (1722-1788).8

 

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Ce chevalier de Malte, reçu de minorité en 1733, page du grand maitre de l'ordre de Malte, puis enseigne sur les galères de l'ordre, entre dans la marine royale en 1740. Ce chevalier de Malte s'est illustré lors de la bataille décisive de la baie de Chesapeake. Cette victoire navale le 5 septembre 1781 a permis aux troupes franco-américaines, sous le commandement de George Washington, du marquis de Lafayette et du général français Rochambeau, d'obtenir la victoire à Yorktown le 19 octobre 1781, assurant ainsi l'indépendance des États-Unis d'Amérique. L'amiral anglais George Brydges Rodney reconnaîtra: " La France a remporté la plus grande victoire et rien ne peut plus sauver l'Amérique".

 
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Le 17 septembre 1781, L'amiral de Grasse reçoit le général Georges Washington à bord de " la Ville de Paris " vaisseau amiral de la flotte Française.

 

 

Article en préparation

 

1. " Le prieur du prieuré de France de l'Hôpital s'installa, à partir de 1350, au Temple de Paris et s'intitula prieur du Temple ". Demurger Alain ; Chevaliers du Christ les ordres religieux- militaires au Moyen Âge XIe - XVIe;  Édition du Seuil; Paris,  2002; p 225.

2.Busson Jean-pierre;Suffren et ses amis d'après sa correspondance; revue historique des armées, année 1983 [153] p 43.

3. Mollier Pierre; La Chevalerie maçonnique franc-maçonnerie, imaginaire chevaleresque et légende templière au siècle des lumières; Préface de Roger Dachez Président de l'Institut Maçonnique de France ; col Renaissance Traditionnelle, Édition Dervy, Paris 2022, p 189

4. Ibid. p 191

5. Les chevaliers de Malte, au nom de la France, ont conduit deux tentatives de restauration de la dynastie écossaise et catholique des Stuart sur le trône d'Angleterre; celle de 1690 en Irlande; et celle de 1745 en Écosse. Pour celle de 1715, le traité d'Utrecht signé en 1713 entre la France et l'Angleterre les empéchaient d'intervenir directement. L'implication des chevaliers de Malte dans la tentative de restauration de 1715 à laquelle participe le chevalier de Ramsay, est donc plus difficile à établir. Ce qui paraît de plus en plus probable est que ce sont les Écossais qui ont initié les chevaliers de Malte à la franc-maçonnerie et que ce sont les chevaliers de Malte au service de la france qui ont initié la franc-maçonnerie écossaise aux grades templiers.

6. Mollier Pierre; La chevalerie maçonnique, op.cit. p 189

7. Cadet de Gassicourt Charles-Louis; Le Tombeau de Jacques Molai ou Histoire secrète et abrégée des initiés, anciens et modernes des Templiers, Francs-maçons, illuminés, etc; chez Desenne, seconde édition, Paris, 1795. p 22. Gallica ; Bibliothèque National de France.

8. Le fils de l'amiral, Alexandre François Auguste comte de Grasse, marquis de Tilly ( 1765-1845), admis dans la société des Cincinnati, jouera  un rôle central dans l'implantation en France, 1804, et en Europe continentale, du rite écossais ancien et accepté, fondé le 31 mai 1801 à Charleston, États-Unis. Le REAA est un Rite maçonnique en 33 degrés, l'un des plus pratiqué au monde. Le chevalier Kadosch version Étienne Morin et Henry Andrew Francken y figure au 30e degré.

 

Jean-Pierre SCHMIT

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