La dispute de la Vraie Croix, une nouvelle hypothèse pour la naissance du Temple
L'Archevêque de Césarée apporte la Vraie Croix à Antioche au grand soulagement du patriarche d'Antioche Bernard de Valence début août 1119
Introduction
Chercher à déchiffrer l’incipit de l’histoire de l’ordre du Temple, à saisir l’esprit des premières années d’une expérience nouvelle comme celle qu’ont vécu Hugues de Payns et ses compagnons, reste un exercice périlleux. La raison en est que nous ne bénéficions d’aucun témoignage direct des événements qui nous intéressent. Les premières chroniques qui vont faire état des débuts des Templiers datent de la fin du XII° siècle, soit plus d’un demi-siècle après les événements, autant dire une éternité.
Le travail des historiens a pu permettre d’identifier au moins quatre chroniques1 qui nous parlent du début de l’ordre du Temple: celle de Michel le Syrien2, celle de Guillaume de Tyr3, celle d’Ernoul4 , celle de Jacques de Vitry5 . Si les courts passages de ces chroniques nous sont précieux pour avoir une première approche des faits, il faut aussi constater que les récits sont assez succincts, que ce qui y est affirmé peut s’avérer faux6 et que les différentes versions sont parfois contradictoires7. Mais le plus gênant reste encore le fait qu’avec le recul des années, il nous semble que ces chroniques nous donne une version édulcorée des événements, laissant penser que si Hugues de Payns et Godefroy de Saint-Omer ont rompu leur engagement auprès des chanoines réguliers ce serait parce qu’ils étaient oisifs et que par manque d’action ils se seraient rapprochés du roi8.
Dans cette optique, le changement de statut de ces « proto-templiers » ne serait pas un drame. Le roi aurait convaincu le patriarche et le prieur du Saint-Sépulcre de libérer de leurs voeux les futurs Templiers pour qu’ils puissent trouver refuge auprès du roi dans son palais sur l’ancien site du Temple de Salomon.
Cette version idyllique des faits a amenés les historiens contemporains à s’imaginer que tout cela se serait passé pendant le concile de Naplouse en janvier 11209 - bien qu’aucune des quatre chroniques de Terre Sainte ne parle explicitement du concile de Naplouse et qu’aucun des vingt-cinq canons du concile de Naplouse ne parle des Templiers.
Pourtant une lettre du chanoine régulier Hugues de Saint-Victor, adressée aux chevaliers du Temple, aurait dû alerter sur le fait que le changement de statut d’Hugues de Payns et de ses compagnons ne s’était pas fait sans quelque frustration de la part des chanoines réguliers. Encore fallait-il que les historiens attribuent cette lettre à son véritable auteur10.
Il en est de même pour la date de la création de la nouvelle milice en 1120. Les historiens contemporains semblent prendre un malin plaisir à jouer du calendrier au risque de nous embrouiller11 alors que le seul document authentique que nous possédons à travers le prologue de la Règle des Templiers est limpide sur ce sujet. Le concile de Troyes a eu lieu le 13 janvier 1128, la neuvième année du commencement de ladite chevalerie, c’est-à-dire en 1119.
À contre-courant de ce bel unanimisme, nous allons donc proposer de présenter une version résolument plus conflictuelle du début de l’ordre des Templiers12.
Des chevaliers du Saint-Sépulcre
Avant la création de l’ordre des Templiers, on s’accorde sur le fait que Hugues de Payns, Godefroy de Saint-Omer et leurs compagnons sont des donats au service des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre, c’est-à-dire des chevaliers laïcs qui ne prononcent pas de voeux mais servent en armes les chanoines et sont soumis à l’autorité du prieur du Saint-Sépulcre. Le statut du donat implique qu'il se donne " se et qua reddere" (lui-même et avec quoi payer), à l'institution religieuse, au moyen d'un contrat écrit. Celui-ci enregistre la formule d'autodédition prononcée lors d'un rite de "commendatio" (recommandation) lié au geste de " l'immixtio manuum" (mélange de mains). Détail important: le centre du lien entre le chevalier laïc et le prieur des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre réside dans le fameux contrat formulé par écrit qui peut être révoqué en cas de désaccord entre les parties.
En échange, les donats bénéficient des bienfaits spirituels des chanoines, ils sont autorisés à suivre les offices dans la basilique et à porter sur leur vêtement l’insigne du Saint-Sépulcre sans pour autant partager la vie commune avec les chanoines qui sont des prêtres.
Hugues de Payns et ses compagnons, en tant que laïcs, vivaient en-dehors des bâtiments conventuels du Saint-Sépulcre. Ils étaient hébergés et nourris non loin de là à l’hôpital de Saint-Jean de Jérusalem.
L’ordre canonial régulier du Saint-Sépulcre, établi en 1114, portait comme signe distinctif une croix vermeille patriarcale cousue sur leur vêtement.
La basilique du Saint-Sépulcre, siège du patriarche latin de Jérusalem, était le coeur spirituel et législatif du royaume de Jérusalem. C’était au Saint-Sépulcre qu’étaient gardés dans un coffre les lois du royaume établis du temps de Godefroy de Bouillon. Ces lois, ou assises, que l’on a appelé les lettres du Saint-Sépulcre, ont fait coulé beaucoup d’encre sur leur contenu puisqu’elles ont disparu en 1187 avec la fin du premier royaume de Jérusalem, sans jamais laisser de trace.
Une autre fonction des chanoines du Saint-Sépulcre était la garde de la Vraie Croix, sainte relique que les Francs emmenaient toujours avec eux lors de la bataille. C’était au patriarche de Jérusalem et au trésorier du Saint-Sépulcre qu’incombait la tâche d’apporter la Vraie Croix sur le champ de bataille. De plus, le patriarche et les chanoines, en tant que grands propriétaires terriens, qui possédaient plus du quart de la ville sainte de Jérusalem, avaient l’obligation de fournir un contingent armé.
À partir des années 1114-1119, on pense qu’en tant que garde du corps des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre, une des fonctions d’Hugues de Payns et de ses compagnons, était de faire partie du contingent militaire qui entourait le patriarche de Jérusalem et le trésorier du Saint-Sépulcre, avec la Vraie Croix portée au-devant de l’armée du roi de Jérusalem. Fonction hautement stratégique sur la symbolique du pouvoir de l’Église sur le royaume de Jérusalem.
La question qui se pose à nous est de savoir pourquoi Hugues de Payns et ses compagnons ont fini par rompre leur engagement auprès des chanoines réguliers du Saint-Sépulcre. L’hypothèse que nous soumettons est que cette rupture soit intervenue à propos de la dispute de la Vraie Croix qui va éclater entre le roi de Jérusalem et le patriarche entre le mois de juin 1119 et le mois de juin 1120.
Sur cette fameuse dispute, nous nous sommes appuyés sur l’article de M. Hans Eberhard MAYER « Jérusalem et Antioche au temps de Baudoin II » in: Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres; 1980, pp. 717-734, accessible sur internet: https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1980_num_124_4_13786
Comme cette dispute intervient dans un laps de temps très court, il est important pour nous de rappeler à quelle date Hugues de Payns et ses compagnons ont décidé d’abandonner le service du Saint-Sépulcre pour devenir des Templiers.
Dans le prologue de la Règle des Templiers, approuvée au concile de Troyes en Champagne, il est précisé: « C’est ainsi qu’en toute joie et toute fraternité, nous nous assemblâmes à Troyes, grâce aux prières de maître Hugues de Payens par qui ladite chevalerie commença, avec la grâce du Saint-Esprit, pour la fête de monseigneur Saint-Hilaire [13 janvier], en l’an de l’incarnation Jésus-Christ 1128, la neuvième année depuis le commencement de ladite chevalerie. »
La Règle des Templiers ne laisse aucun doute sur le fait que la création de l’ordre a eu lieu en 1119. Cette année-là va se produire un événement majeur en Terre Sainte qui, selon nous, pourrait bien être la cause indirecte de la rupture entre Hugues de Payns et les chanoines du Saint-Sépulcre. Cet événement est le désastre de la bataille de l’ager Sanguinis le samedi 28 juin 1119 que l’enlumineur anonyme du manuscrit de l’Historia de Guillaume de Tyr a judicieusement représenté sous la scène où Hugues de Payns et Godefroy de Saint-Omer se présentent au roi de Jérusalem Baudoin II pour créer la nouvelle chevalerie.
Le désastre de l'Ager Sanguinis
L’Ager Sanguinis ou le Champ du Sang, c’est la fin tragique de Roger d’Antioche, régent de la principauté d’Antioche. Entre mai et avril 1119, une armée de Turcomans, dirigée par Il-Ghâzi, l’atabeg d’Alep, envahit la principauté d’Antioche. À l’annonce de cette invasion, Roger d’Antioche avait tout de suite envoyé des messagers pour demander l’aide du roi Baudoin II et du comte Pons de Tripoli. Le roi de Jérusalem répondit aussitôt qu’il allait accourir avec le comte de Tripoli mais que le régent se gardât de livrer bataille avant leur arrivée. Le patriarche d’Antioche Bernard de Valence, qui le premier avait conseillé de faire appel au roi, insista vivement pour que Roger se conforme aux injonctions du roi.
Hélas! Roger d’Antioche, fort des succès qu’il avait déjà remporté sur ses ennemis en 1115 et pressé par ses vassaux qui subissaient le siège de leur domaine, se persuada qu’il était à même d’assurer par lui-même la défense de sa principauté. Contre l’avis du patriarche d’Antioche, il rassembla son armée composée de 700 chevaliers et de 3000 fantassins pour se porter au plus vite contre l’ennemi.
Seulement, plus il avançait vers l’armée ennemie, plus les nouvelles de ses éclaireurs étaient inquiétantes. On lui rapporta que l’armée était bien supérieure à la sienne. On parle de 20 000 hommes. Un chroniqueur arabe parle même de plus de 40 000 hommes. Roger d’Antioche, avant même la bataille, comprend l’erreur qu’il venait de commettre. Mais il était déjà trop tard pour battre en retraite. Il fallait se préparer à subir le choc d’une armée innombrable.
La stratégie des Francs fut de se positionner dans une vallée étroite entre deux montagnes pour essayer de compenser l’infériorité numérique par un espace exigu où il serait difficile de manœuvrer pour le gros de l’armée d’Il-Ghâzi. Mais cette stratégie s’avéra inutile car il fut facile pour les Turcomans de contourner par les hauteurs et d’opérer un encerclement total de la petite armée franque dans la nuit du 27 au 28 juin 1119.
Les Francs, acculés et sans espoir de retraite, se battirent avec l’énergie du désespoir, tuant le plus grand nombre d’ennemis possible. Mais, submergés par le nombre, ils succombèrent et furent massacrés en masse. Roger d’Antioche, restant seul avec une poignée de fidèles , se lança au plus épais des escadrons turcs. Un coup d’épée en plein face, à hauteur du nez, lui donna la mort.
Selon les chroniqueurs de l’époque, seuls 140 hommes sur toute l’armée d’Antioche purent se sortir de cet amas de cadavres gisants dans cette vallée encaissée qui fut leur dernier tombeau et qu’on appellera dorénavant le Champ du Sang, l’Ager Sanguinis.
Comprenant d’avance la situation, le patriarche d’Antioche, Bernard de Valence, prit des mesures énergiques. Faute de soldats, il commença par armer tous les Francs présents à Antioche, qu’ils soient marchands, clercs ou moines. Tous furent mis à contribution pour défendre la cité d’Antioche. Quant aux chrétiens indigènes, syriens, arméniens, grecs, ils furent désarmés et confinés chez eux par peur de la trahison. Cette politique s’avéra payante puisqu’elle permis d’attendre l’arrivée de l’armée du roi Baudoin II.
La dispute de la Vraie Croix
Au moment où Baudoin II avait reçu le premier message de Roger d’Antioche, il se trouvait lui-même engagé avec son armée dans une expédition militaire contre les Damascènes sur les rives du Jourdain. Comme le voulait les institutions hiérosolymitaines, le patriarche de Jérusalem Gormond de Picquigny était là, avec la Vraie Croix, accompagné du trésorier du Saint-Sépulcre. Le premier réflexe du roi Baudoin II fut d’ordonner à son armée d’interrompre les opérations militaires en cours et de se diriger immédiatement vers Antioche en passant par le comté de Tripoli afin de réunir toutes les armées pour se préparer à combattre les Turcomans.
Le problème est que devant cet ordre une partie de la noblesse du royaume de Jérusalem refusa de suivre le roi sous prétexte que la semonce, c’est-à-dire le service militaire dû au roi, n’était valable que sur le territoire du royaume de Jérusalem et ne concernait pas la principauté d’Antioche.
Derrière ce refus de la noblesse hiérosolymitaine se cachait l'antagonisme issu de l’élection du roi Baudoin II au trône de Jérusalem en 1118 qui avait contrevenu au droit féodal franc selon lequel le successeur légitime du roi Baudoin Ier serait son frère, Eustache III de Boulogne.
Le conflit entre les légitimistes, garants du droit féodal franc, et les réformateurs, partisans de l’élection, dont faisait partie Hugues de Payns et Godefroy de Saint-Omer, venait d’éclater en pleine campagne militaire sur les rives du Jourdain.
Le plus surprenant dans cette affaire est que le patriarche de Jérusalem et les chanoines du Saint-Sépulcre, qui avaient pourtant grandement participé à l’élection du roi Baudoin II, décident contre toute attente d’aller dans le sens des opposants au roi en arguant que la Vraie Croix ne devait pas sortir du royaume de Jérusalem car la précieuse relique risquait d’être perdue. Même si cette crainte pouvait se justifier, puisque c’est finalement ce qui arriva en 1187 à la bataille de Hattin, en l’occurence, il existait un précédent puisqu’en septembre 1115 à la bataille de Tell-Dânîth dans la principauté d’Antioche, la Vraie Croix avait déjà été amenée à Antioche par le roi Baudoin Ier.
Derrière cette soudaine attitude frileuse de l’église hiérosolymitaine, on soupçonne les ambitions du patriarche Gormond de Picquigny, qui prétendait diriger le royaume de Jérusalem au nom de la très sainte Église romaine catholique et apostolique. Pour le patriarche, le royaume de Jérusalem se devait d’être une théocratie et le moment lui semblait opportun pour réaffirmer cette évidence.
Nous sommes dans l’impossibilité de savoir si les lettres du Saint-Sépulcre lui donnaient raison mais si les assises du royaume avaient été rédigées du temps de Godefroy de Bouillon, qui lui-même avait refusé de porter la couronne en hommage au Christ et s’était déclaré simple avoué du Saint-Sépulcre, on pourrait penser que le patriarche de Jérusalem avait sur ce point quelques arguments juridiques valables à faire valoir.
Ne pouvant laisser le patriarche de Jérusalem confisquer la Vraie Croix sans renoncer à toute autorité sur le royaume, le roi Baudoin II ordonna sur le champ que la Vraie Croix soit confiée à l’archevêque de Césarée pour conduire son armée jusqu’à Antioche et c’est précisément à ce moment-là que se joue le destin d’Hugues de Payns et Godefroy de Saint-Omer car c’est eux qui étaient censés protéger les chanoines réguliers et le patriarche qui entouraient la Vraie Croix.
Qu’allaient-ils faire? Obéir au patriarche et aux chanoines du Saint-Sépulcre comme l’exigeait leur engagement? Ou allaient-ils suivre l’armée du roi élu? La rupture entre Hugues de Payns et ses compagnons avec les chanoines du Saint-Sépulcre date selon nous de cet instant précis car les futurs Templiers vont probablement décider de prendre la Vraie Croix pour la remettre à l’Archevêque de Césarée comme l’ordonnait le roi élu.
En juin 1119, sur les rives du Jourdain, on va assister à ce triste spectacle de l’armée de Jérusalem qui va se diviser en deux: l’une, conduite par le roi Baudoin II, se dirigeant vers le nord pour aller au secours de la principauté d’Antioche, l’autre, conduite par le patriarche Gormond de Picquigny, prenant la direction du sud pour s’en retourner à Jérusalem.
Quand l’armée du roi rejoint celle du comte Pons de Tripoli, si l’on fait abstraction des fantassins, l’ensemble total des deux armées ne dépassait pas 250 chevaliers, c’est dire à quel point la noblesse hiérosolymitaine avait déserté en masse l’armée du roi. Ce constat contraindra Baudoin II à organiser en janvier 1120 le concile de Naplouse où il concédera la décime au profit de l’Église et du patriarche de Jérusalem pour chercher à retrouver un semblant d’unité.
Hugues de Payns, Godefroy de Saint-Omer et leurs compagnons ont selon toute probabilité participé aux côtés du roi à la bataille de Hab, le 14 août 1119, qui a vu l’armée franque repousser l’armée d’Il-Ghazi malgré une infériorité numérique flagrante.
Cet exploit, où l’attitude au combat des compagnons d’Hugues de Payns a pu se mettre en valeur a scellé définitivement les liens indéfectibles entre le roi et les anciens chevaliers du Saint-Sépulcre. Quand le roi revient à Jérusalem en décembre 1119, il leur ouvre son palais et les accueille chaleureusement. C’est à ce moment que devant le roi les compagnons d’Hugues de Payns prononcent leur propositum vitae à travers ces mots:
« Sire, pour Dieu, conseillez-nous de telle manière, que nous considérions avec attention à faire maître l’un de nous et qu’il nous conduise à la bataille pour la défense du royaume. »
À la fin de la charte du roi de Jérusalem, datée du mardi 30 décembre 1119 qui confirme, après l'avoir rappelé, un privilège en date du 20 juin 1112 accordé à l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem par son prédécesseur, Baudoin II précise de manière inhabituelle, dans la formule de datation du document, le fait qu'il avait emporté la Vraie Croix à Antioche et, qu'avec l'aide de la relique, il avait remporté la victoire (bataille de Hab). Dans la liste des témoins de cette charte, on trouve mentionné pour la première fois en Terre sainte le nom du chevalier Hugues de Payns : "(...) En l'an de l'incarnation du Seigneur 1120 (style pisan), en la deuxième année de mon règne, lorsque Dieu, par le signe de la Sainte-Croix, accorda la victoire à sa Chrétienté en terre syrienne et au royaume qui lui était confié, mardi, le 30 décembre.". La liste des témoins qui suit, recense : le chancelier Payen, le vicomte d'Acre Robert, Raoul de Fontenelle, Hugues de Payns (de Pazence), Honfroi de Toron, André de Teirall, Jean Cubilarii en présence de Pierre de Barcelone, Bertrand, frère de Mont-Pèlerin, un prêtre du nom de Pons et Frère Aicelin.
La chronique d'Ernoul nous dit que la nouvelle milice portait encore sur son habit une partie de son ancien insigne du Saint-Sépulcre, sous la forme d'une croix simple couleur vermeille. Si l'on suit les dires du chroniqueur, les templiers auraient décousu de leur vétement la partie inférieure de la croix patriarcale pour ne garder que la partie supérieure.
Une chevalerie ostracisée ?
À partir de là, Hugues de Payns et ses compagnons doivent être considérés par le patriarche de Jérusalem et les chanoines réguliers comme suspects, voire comme des apostats à la cause de l’Église de Jérusalem. C’est à cette période délicate qu’à lieu le concile de Naplouse, qu’il est devenu courant de considérer comme l’acte de naissance de la nouvelle chevalerie alors qu’aucun des 25 canons du concile de Naplouse du mois de janvier 1120 ne fait allusion de près ou de loin aux Templiers.
Deux chapitres sont souvent mis en avant par les historiens, les canons 20 et 21 qui ne concernent pourtant que les clercs. Le chapitre 20 concède aux clercs le droit de prendre les armes pour leur défense mais surtout il insiste sur le fait qu’ils ne prennent pas goût à la guerre car c’est contraire à leur état. Le chapitre 21 nous dit: « si un moine ou un chanoine régulier apostasie, qu’il revienne à l’ordre ou rentre dans sa patrie ». Rien qui puisse laisser penser que le concile de Naplouse soutienne la nouvelle démarche des Templiers qui cherche à allier le statut de moine à celui du guerrier.
Quand, dans une lettre, le roi de Jérusalem demande à saint Bernard de soumettre une règle à ses protégés, ce sera le silence radio. Non seulement saint Bernard ne répond pas aux multiples sollicitations d’Hugues de Payns et du roi Baudoin II mais Hugues de Saint-Victor de Paris, le grand théologien des chanoines réguliers, ayant entendu parler de leur démarche leur écrit pour les remettre à leur place.
Hugues de Saint-Victor est un fervent partisan de la Respublica Christiana dirigée par les clercs. Il ne conçoit en aucune façon que des gens d’armes puissent prétendre à la contemplation des choses divines. Ce sont des « inférieurs » qui doivent obéissance aux « supérieurs », les clercs. Son conseil: « reste dans l’état où tu es » et contente-toi de vivre de la dépouille pendant la bataille ( comme le ferait un vulgaire chevalier du siècle).
Hugues de Saint-Victor n’est pas le seul à monter au créneau. Guigues 1er, prieur de Chartreuse, leur adresse une lettre désagréable où il leur rappelle que le combat contre le mal est avant tout d’ordre spirituel et qu’ils sont peut-être en train de se fourvoyer. Dans cette ambiance hostile, il était impossible pour les premiers Templiers d’espérer recruter ou de recevoir des dons. D’où la légende des 9 chevaliers pendant 9 ans. Pourtant, juridiquement parlant, Hugues de Payns et ses compagnons, en tant que donats, avaient le droit de rompre le contrat qui les liait aux chanoines réguliers du Saint-Sépulcre en cas de désaccord.
Baudoin II, en juin 1120, alors qu’il est à Jérusalem, reçoit une nouvelle demande de secours de la principauté d’Antioche qui est encore une fois attaquée par les Turcomans. Comme le veut la tradition, le roi demande que la Vraie Croix accompagne son armée qui va partir défendre la principauté d’Antioche. Le patriarche de Jérusalem et les chanoines réguliers du Saint-Sépulcre lui refusent catégoriquement de lui livrer la Vraie Croix.
En juin 1120, nous sommes en face d'une véritable crise de régime. Un bras de fer s’engage entre le roi et le patriarche pour la gouvernance du royaume. Baudoin II déclare publiquement que si on ne lui livrait pas la Vraie Croix il renoncerait à aller défendre la principauté d’Antioche et que les conséquences du désastre seraient à mettre sur le compte du patriarche et de ses amis les chanoines. À cette occasion, le roi prenait à témoin tous les Latins d’Orient.
Le problème pour l’Église de Jérusalem est que si les nobles du royaume de Jérusalem étaient contraints par la semonce de servir le roi, rien n’obligeait cette même noblesse à servir une théocratie surtout si celle-ci avait les accents de la Respublica Christiana. Force était de constater que si le patriarche avait un pouvoir de nuisance vis-à-vis du roi, il n’avait pas celui de diriger le royaume et le positionnement d’Hugues de Payns et de ses compagnons à cet égard était particulièrement révélateur.
Gormond de Picquigny finit par céder au roi en résumant la situation ainsi: « Nous fîmes ce que nous ne voulions pas et ce que nous ne voulions pas nous le voulûmes. » Dans cette lutte d’influence entre le roi et l’Église, si Baudoin II venait de remporter une bataille, il n’avait pas encore remporté la guerre.
En ce qui concerne les Templiers, l’événement qui semble avoir dénoué la situation ne fut pas le concile de Naplouse en 1120 mais l’entrée au sein de la milice du Temple du comte Hugues Ier de Champagne en 1125.
Hugues Ier, comte de Champagne, et la genèse de l’ordre des Templiers.
Hugues de Champagne était un personnage influent, aussi bien auprès du roi de France, dont il avait épousé la fille Constance de France en premières noces, qu’auprès de l’Église romaine puisqu’en secondes noces, il épousa Elisabeth de Bourgogne, la nièce du pape Calixe II (1119-1124).
Grand protecteur de l’Église grégorienne, en 1104, le comte avait autorisé sur ses terres la tenue d’un concile à Troyes, en Champagne. Suite à ce concile, il avait décidé de se rendre en Terre Sainte. Mais avant de partir pour Jérusalem, il avait pris soin de se rendre pour la troisième fois dans l’abbaye de Molesme où il rencontra Hugues II, duc de Bourgogne et Guillaume II, comte d’Auxerre, de Nevers et de Tonnerre, qui revenaient de Terre Sainte. De son côté, Hugues était accompagné d’Erard, comte de Brienne, d’Hugues, comte de Reynel, d’André, comte de Ramerupt, de Milon Ier, comte de Bar-sur-Seine, de Jeoffroi, seigneur de Chaumont en Bassigny, de Roger de Joinville, et de Ponce, de Trainel, ainsi que de son neveu, le jeune Thibaut, futur comte de Champagne. Les seigneurs bourguignons et champenois aimaient à se retrouver dans cette abbaye où le supérieur du lieu était élu. Rappelons que l’abbé Robert de Molesme fut le fondateur de l’abbaye de Cîteaux et que les abbés de Cîteaux et de Molesmes seront présents au concile de Troyes en 1128 comme le comte Thibaut de Champagne et le comte de Nevers.
Après cette réunion, on estime qu’Hugues de Champagne serait parti trois ans en Terre Sainte accompagné de son fidèle vassal, Hugues de Payns. De retour en Champagne vers la fin de l’année 1107, le comte repartira en Terre Sainte en 1114.
Dans un acte daté de 1113, Hugues de Champagne annonce qu’il se rendra au Saint-Sépulcre l'acte dit :
" Sachent tous les fidèles du Christ présens et avenir que le mémorable Hugues, comte de Troyes, devant par une pieuse dévotion se rendre au sépulcre du Seigneur ajouta de nouveaux bienfaits aux bienfaits si nombreux et si grands qu'il avait accordés à l'église de Montiéramey.(...) ".
Il semble que dès cette date, il était déjà dans l’idée de se mettre au service des chanoines du Saint-Sépulcre contre l’avis de sa femme Elisabeth de Bourgogne, qui se plaint de la situation à Yves de Chartres le grand canoniste. Parmi les témoins de cet acte fait à Troyes en Champagne figure Hugues de Payns.
Voici un extrait de la lettre qu'Yves de Chartres adresse au comte Hugues Ier en 1114 :
" Yves, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à Hugues, comte magnifique et respectable des Troyens, souhaite que sur la route il combatte de manière à pouvoir régner dans la patrie. Nous avons entendu dire et nous savons que devant partir pour Jérusalem tu as fait voeu d'entrer dans la milice du Christ (Chevalier du Saint-Sépulcre), tu veux t'engager dans cette milice évangélique où avec dix mille hommes on combat sans crainte celui qui s'avance avec vingt mille pour nous attaquer. C'est la charité, mon cher ami, qui m'a donné la hardiesse de t'écrire cette lettre pour te conseiller de réfléchir à ce projet, et de faire en sorte qu'il ne paraisse pas seulement louable aux yeux des hommes, mais qu'il soit aussi agréable aux yeux de Dieu, et que l'accomplissement d'un voeu arbitraire ne te fasse pas oublier un engagement consacré par la loi divine. Tu t'es uni à une femme par un lien que la loi de la nature a créé, et qu'ensuite la loi de l'Évangile et des apôtres a confirmé (.....), et si tu gardes la continence sans le consentement de ta femme, quand même tu le ferais pour Dieu, tu n'observes pas tes engagement conjugaux, et tu offres en sacrifice le bien d'autrui au lieu du tien prope (.....). Tu devras donc, en exécutant ton projet, t'arranger de manière à ce que l'accomplissement de ton voeu puisse se concilier avec le respect dû à une institution qui est de droit naturel et de droit positif."
Nous pensons que ce voyage organisé par le comte de Champagne et Hugues de Payns en 1114 a un lien avec la réforme du chapitre du Saint-Sépulcre qui cette même année passe de séculier à régulier, ce qui permettra aux chanoines d’élire le patriarche de Jérusalem selon les usages de l’Église grégorienne. Cette réforme permet d’élire le patriarche mais elle instaure aussi un nouveau mode de désignation des gouvernants au sein même du nouveau royaume latin de Jérusalem. Cela permit en 1118 de faire élire Baudoin II comme roi de Jérusalem avec l’appui du patriarche dans un royaume où le régime héréditaire aurait dû être la règle.
On se demande si cette stratégie pour arriver à faire élire le roi dans les états francs de Terre Sainte à la manière de ce qui se faisait dans l’empire germanique n’aurait pas été pensé et préparé dans cette abbaye de Molesme en Bourgogne où seigneurs champenois et bourguignons aimaient à se retrouver comme le feront plus tard les légendaires chevaliers de la Table Ronde.
En 1119, le comte de Champagne, revenu bon gré mal gré en Occident autour des années 1115/1116, participe au concile de Reims sur les terres du roi de France où il est officiellement chargé de la sécurité personnelle du pape Calixe II au moment où se dernier négocie avec le très menaçant empereur germanique. Hugues, comte de Champagne, est aussi le protecteur et généreux donateur des terres pour la fondation de l’abbaye cistercien de la Claire Vallée dont saint Bernard est l’abbé.
Voici la lettre que saint Bernard écrit quand il apprend que le comte de Champagne a décidé de partir définitivement en Terre Sainte pour se faire templier en 1125:
« Si c'est pour Dieu que de comte vous vous êtes fait simple soldat, et pauvre, de riche que vous étiez, je vous en félicite de tout mon coeur, et j'en rends gloire à Dieu, parce que je suis convaincu que ce changement est l'oeuvre de la droite du Très-Haut. Je suis pourtant contraint de vous avouer que je ne puis facilement prendre mon parti d'être privé, par un ordre secret de Dieu, de votre aimable présence, et de ne plus jamais vous voir, vous avec qui j'aurais voulu passer ma vie entière, si cela eût été possible. Pourrais-je en effet oublier votre ancienne amitié, et les bienfaits dont vous avez si largement comblé notre maison? Je prie Dieu dont l'amour vous a inspiré tant de munificentes pour nous, de vous en tenir un compte fidèle. Pour moi j'en conserverai une reconnaissance éternelle, je voudrais pouvoir vous en donner des preuves. Ah! s'il m'avait été donné de vivre avec vous, avec quel empressement aurais-je pourvu aux nécessités de votre corps et aux besoins de votre âme. Mais puisque cela n'est pas possible, il ne me reste plus qu'à vous assurer que, malgré votre éloignement, vous ne cesserez d'être présent à mon esprit au milieu de mes prières. »
C’est très certainement l’entrée du comte Hugues de Champagne comme simple membre de la milice du Temple qui décide saint Bernard à rédiger l’Éloge de la nouvelle chevalerie, point de départ d’une reconnaissance officielle de l’ordre. Malgré tout, les Templiers vont faire l’amère expérience que les chanoines réguliers n’ont pas renoncé à leur projet de Respublica Christiana en Terre Sainte. Lors du concile de Troyes sur les terres de Champagne en 1128, Hugues de Payns et ses compagnons vont constater que leur Propositum vitae a été sérieusement dénaturé.
L’enjeu de la Propositum Vitae des Templiers
Le prologue de la Règle des Templiers précise: « Ensemble, nous l’entendîmes, de la bouche même de frère Hugues de Payens, comment fut établi cet ordre de chevalerie et, selon notre jugement, nous louâmes ce qui nous sembla profitable; tout ce qui nous sembla superflu, nous le supprimâmes. Et tout ce qui, dans cette réunion, ne put être dit ou raconté, ou oublié, nous le laissâmes, avec sagesse, à la discrétion de notre honorable père, sire Honorius et du noble patriarche de Jérusalem, Étienne de la Ferté qui connaissait le mieux les besoins de la terre d’Orient et des pauvres chevaliers du Christ. »
Le nouveau patriarche de Jérusalem, Étienne de la Ferté, ancien abbé des chanoines réguliers de Saint-Jean en Vallée à Chartes, loin d’être sage, avait décidé d’imposer le patriarcat de Jérusalem comme seul maître de la Terre Sainte. Pour ce faire, il commença par réviser la Règle des Templiers en enlevant toute référence au roi de Jérusalem qui était pourtant le protecteur déclaré de la nouvelle milice. Il soumit les pauvres chevaliers du Christ à son autorité et il leur imposa de suivre la liturgie des chanoines réguliers. Dans l’esprit d’Étienne de la Ferté, le roi Baudoin II était prié d’évacuer Jérusalem pour aller s’installer dans la cité d’Ascalon qui était encore aux mains des musulmans. Cherchant probablement à s’appuyer sur la flotte d’une des puissantes cités maritimes comme Venise, Pise ou Gênes, c’est à une véritable guerre civile que se préparait le nouveau patriarche pour imposer la très sainte Respublica Christiana dans le royaume de Jérusalem.
Pourtant saint Bernard, dans une lettre où on lui demandait son avis, avait déconseillé à l’abbé de Saint-Jean en Vallée de se rendre à Jérusalem. Étienne de la Ferté était passé outre cet avis et avait réussi à se faire élire comme successeur de Gormond de Picquigny. Mauvaise idée, car en avril 1130, un peu plus de deux ans après son élection, le patriarche de Jérusalem, Étienne de la Ferté agonise dans son lit.
Quand Baudoin II se rendra au chevet du patriarche en lui demandant comment il allait, celui-ci lui répondit: « je vais comme vous le souhaitez, sire. » On accusa le roi de l’avoir empoisonné mais il faut plutôt regarder du côté des Templiers qui cherchaient à protéger le roi et surtout son successeur désigné, Foulques d’Anjou, qui sera couronné en 1131 et qu’ils considéraient comme l’un des leurs depuis qu’en 1120 il avait séjourné parmi eux sur l’ancien site du Temple de Salomon.
Au successeur d’Étienne de la Ferté, Guillaume de Messine (1130-1145), saint Bernard recommandera les Templiers et surtout une attitude plus humble vis-à-vis de sa fonction. C’est au nouveau patriarche de Jérusalem, Guillaume de Messine, que l’on doit l’apaisement des tensions entre l’ordre du Temple et les chanoines réguliers à Jérusalem.
Au final, ce sera le 29 mars 1139, par la bulle Omne datum optimum, fulminée par le pape Innocent II (1130-1143) que les Templiers se débarrasseront définitivement de la tutelle des patriarches de Jérusalem pour être soumis à celle du pape.
Le parti pris des chroniqueurs
Pour le début des Templiers, deux des quatre chroniques de Terre Sainte sortent du lot : celle de Guillaume archevêque de Tyr (1130-1186) commencée vers 1170 et terminée en 1184 et celle d’Ernoul qui est l’écuyer du seigneur Balian d’Ibelin (1145-1193) commencée vers les années 1187-1993, et pousuivie jusqu'à l'année 1229.
Il se trouve que ces deux chroniqueurs font partie du même clan: celui des monarchistes, ou légitimistes, partisans du droit héréditaire et farouchement opposés à l’influences de l’ordre des Templiers sur les institutions hiérosolymitaines.
Guillaume de Tyr a commencé son histoire d’Outre-mer sur la demande du roi de Jérusalem Amaury Ier (1162-1174), qui a la fin de sa vie envisageait de dissoudre l’ordre des Templiers en Syrie. Cela donne une idée du parti pris de ce chroniqueur. Guillaume de tyr sera le précepteur du fils et héritier du roi Amaury Ier, Baudoin IV (1174-1185) qui était Lépreux.
L’ambition de Guillaume de Tyr n’avait pas de limites et on se demande quel rôle il joua dans l’assassinat en octobre 1174 du sénéchal Milon de Plancy, régent du royaume de Jérusalem et proche des Templiers. Milon de Plancy avait épousé en 1173 Étiennette de Milly, fille du 7e Grand Maître de l'ordre des Templiers, Philippe de Milly (1169-1171) qui, devenu veuf, était entré dans l'ordre du Temple vers 1167. Le meurtre de Milon de Plancy avait certainement été commandité par le grand ami de Guillaume de Tyr, le comte Raymond III de Tripoli, qui briguait le poste de régent, et par ses fidèles alliés Balian d’Ibelin et son frère Baudoin.
C’est sous la régence de Raymond III de Tripoli que Guillaume de Tyr deviendra cette même année 1174 chancelier de Jérusalem avant d’être nommé l’année suivante archevêque de Tyr. Mais l’ascension fulgurante de Guillaume de Tyr va s’effondrer quand, en 1180, il concourt à la charge de patriarche de Jérusalem face à l’archevêque de Césarée, Héraclius. Pendant cette élection, Guillaume de Tyr est prêt à sacrifier le principe de l’élection par les chanoines réguliers en proposant d’aller chercher le nouveau patriarche en Occident.
Une fois élu par les chanoines réguliers du Saint-Sépulcre, le nouveau patriarche de Jérusalem, Héraclius finira par excommunier Guillaume de Tyr en 1183. Parti à Rome pour se justifier, Guillaume de Tyr y mourra en septembre 1186. Le chroniqueur Ernoul, qui étrangement ne dit rien sur le meurtre du régent Milon de Plancy, s’étale abondamment sur les mauvaises moeurs du patriarche Héraclius, l’accusant nommément d’avoir envoyé un physicien à Rome pour empoisonner Guillaume de Tyr.
L’objectivité de la chronique d’Ernoul fait donc l'objet de la même suspicion puisque son seigneur et maître Balian d’Ibelin était le plus proche soutien de Raymond III, comte de Tripoli, principal opposant à Guy de Lusignan, candidat au trône de Jérusalem soutenu par les Templiers. On remarque aussi qu’Ernoul terminera sa chronique sur l’épisode où l’empereur germanique Frédéric II, de retour de Terre sainte, saisit les biens des Templiers dans les Pouilles et en Sicile et chasse tous les frères de ses terres. Tout un symbole qui en dit long sur les arrières-pensées du chroniqueur.
Arrières-pensées car il semble que le chroniqueur ne pouvait pas s’exprimer en totale liberté. M.L. de Mas Latrie identifie notre chroniqueur avec le chevalier Ernoul de Giblet mort après 1233. Les seigneurs de Giblet étaient originaires d’une famille de génois proche du Saint-Empire germanique et de l’ordre teutonique.
Le 7 mai 1186, Guy Ier, seigneur de Giblet, souscrit un acte du roi Guy de Lusignan en faveur de l’ordre teutonique et en 1228, il prête 30 000 besants sarrasins à l’empereur Frédéric II lors de son arrivée à Chypre. Mais Ernoul de Giblet, après avoir été écuyer de Balian d’Ibelin, semble avoir servi son fils, Jean d’Ibelin (1179-1236), régent du royaume de Chypre qui affrontera directement les troupes de l’empereur germanique en Terre sainte, tout en se raprochant des Templiers jusqu'à se faire recevoir dans l'ordre en 1236 pour y passer ses derniers jours.
Position délicate pour Ernoul de Giblet car sa propre famille lutte aux côtés des impériaux contre les seigneurs d’Ibelin qu’il sert avec mollesse puisqu’on lui reprochera son manque d’initiative quand, chargé de la défense de l’île de Chypre en 1232, il laissera les impériaux - parmi lesquels se trouve Hugues de Giblet - s’emparer de l’île. Il ne faut donc pas s’étonner quand Ernoul se plaît à décrire dans un autre passage de sa chronique comment, devenu empereur en 1220, Frédéric II reprend en main la Sicile et les Pouilles et fait pendre à cette occasion quelques frères templiers, sans ajouter d’autre commentaire.
Guillaume de Tyr et Ernoul de Giblet paraissent imprégnés des valeurs aristocratiques issus du droit féodal franc ou de l'idéologie gibeline. Ces chroniqueurs ont en commun leur attachement à la supprématie du droit héréditaire, ce qui en fait des ennemis déclarés des frères Templiers attachés aux valeurs de la citoyenneté élective mise en avant par l'église grégorienne.
On peut dire aujourd’hui que 80% de ce que raconte Guillaume de Tyr sur le début des Templiers est fantaisiste , voire faux. En premier lieu, par le fait qu’il place en 1118 la naissance de l’ordre. Selon lui: « le roi et les grands, le seigneur patriarche et les prélats des églises leur donnèrent en outre, sur leurs propres domaines, certains bénéfices, les uns à terme, les autres à perpétuité, et ces bénéfices furent destinés à leur assurer les moyens de se couvrir et de se vêtir. » Or, aucun acte ne vient corroborer ces assertions. Le seul acte que nous possédons date de 1125, l’année où Hugues, comte de Champagne, entre dans la milice.
Surtout, les dires de Guillaume de Tyr sont contredits par la lettre du maître des chanoines réguliers, Hugues de Saint-Victor, qui dit aux Templiers de se contenter pour subsiter de la dépouille pendant la bataille, c’est-à-dire du pillage des bagages et des biens des guerriers musulmans qu’ils avaient réussi à vaincre.
Toujours aussi fausse, l’affirmation de Guillaume de Tyr selon laquelle les Templiers n’auraient reçu les insignes de la croix vermeille que sous le pontificat d’Eugène III (1145-1153). La bulle Omne datum optimum, octroyée aux Templiers en 1139 par le pape Innocent II (1130-1143) évoque à deux reprises la croix vermeille des Templiers.
On frise même le ridicule quand l’archevêque de Tyr se contredit lui-même. Dans un passage, il nous explique que les Templiers n’avaient pas d’autre vêtement que ce le peuple leur donnait par charité jusqu’au concile de Troyes (qui s’est tenu en 1128) alors que, quelques lignes plus haut, il nous expliquait que les bénéfices reçus par les Templiers en 1118 étaient destinés à leur assurer les moyens de se couvrir et de se vêtir.
Il n’y a aucun crédit à accorder à la chronique d’un archevêque dont le seul but était de démontrer l'ingratitude des Templiers vis-à-vis du roi et de l’Église qui les avaient si bien traités à leurs débuts quand ils étaient pauvres et que, devenus riches et indépendants du patriarche de Jérusalem, ils se sont rendus extrêmement incommodes.
Dans ces conditions, on ne sera pas surpris que la chronique de l’écuyer du seigneur Balian d’Ibelin soit de la même veine à propos de la naissance des Templiers. La chronique d’Ernoul se veut la continuatrice de la chronique de Guillaume de Tyr qui s’achève en 1184. Tout de suite, on remarque qu’au lieu de reprendre le récit en 1184, Ernoul, dans son deuxième chapitre, ressent la nécessité de revenir sur l’épisode de la naissance des Templiers développée par Guillaume de Tyr.
Peut-être que dès cette époque ce passage avait déjà été fortement critiqué et qu’Ernoul avait jugé bon de préciser certains détails. Mais comme Ernoul a sous les yeux le texte de Guillaume de Tyr, il commence par faire la même erreur que lui, en plaçant la naissance du Temple en 1118.
Malgré tout, Ernoul est plus précis que l’archevêque de Tyr. Il révèle que les premiers chevaliers du Saint-Sépulcre avaient le statut de « rendus » ou « donnés » et qu’ils obéissaient au prieur du Saint-Sépulcre. Il précise aussi qu’ils portaient l’enseigne du Saint-Sépulcre, la croix patriarcale à deux bras couleur vermeille et que par la suite les Templiers en portèrent encore une partie avec la croix toute simple vermeille.
Comme pour Guillaume de Tyr, il n’y a pas d’opposition entre les roi et le patriarche au sujet des Templiers. Dans son récit, archevêques, évêques et barons s’accordent et prennent conseil à leur propos. C’est là où certains historiens ont cru voir la marque du concile de Naplouse bien que deux ans séparent la date de 1118 donnée par Ernoul et la date du concile de Naplouse en 1120.
Si la chronique d’Ernoul faisait allusion au concile de Naplouse, comment expliquer que les canons de ce concile ne parlent pas des Templiers ou même que Hugues de Payns et ses compagnons ne soient pas cités parmi les membres présents au concile , ce qui serait la moindre des choses s’il était question de leur sort. On a du mal à croire à un tel silence pour un concile qui passe aux yeux des historiens contemporains comme celui de l’approbation de la nouvelle milice.
Autre élément suspect dans la chronique d’Ernoul: c’est l’explication qu’il donne du changement de vocation des chevaliers du Saint-Sépulcre. Pour Ernoul, les chevaliers auraient passé leur temps à boire, à manger et à dépenser leur argent et, lassés d’un tel régime, ils auraient décidé d’aller combattre. Autrement dit, Hugues de Payns et ses compagnons , lassés de faire ripaille et d’obéir à un prêtre, seraient devenus des Templiers. Voilà une belle caricature donnée par l’écuyer du sieur Balian d’Ibelin sur un ordre de chevalerie de Terre Sainte qui contrariait les projets politiques de son maître!
Pour les deux autres chroniques, il n’y a pas grand chose à dire puisque Jacques de Vitry, mort en 1240, écrit au début du XIIIe siècle , et ne fait que paraphraser la version de Guillaume de Tyr. Quant à Michel le Syrien, patriarche jacobite d’Antioche (1166-1199), qui écrit vers la fin du XIIe siècle, paraît loin de la culture latine pour avoir une quelconque crédibilité. Curieusement, il nous dit qu’Hugues de Payns avait servi pendant trois ans avec trente chevaliers le roi de Jérusalem à la guerre avant que ce dernier leur donne la maison de Salomon. Cette version contredit l’oisiveté supposée des proto-templiers de la version d’Ernoul mais n’étant pas elle-même très crédible, on ne peut rien en faire.
Conclusion
Il faut toujours regarder les chroniques latines de Terre Sainte avec un certain recul. Il est flagrant par exemple que les chroniques de la Première Croisade minimisent le rôle joué par l’armée byzantine alors que sans l’aide des byzantins, les Latins n’auraient jamais pu libérer Jérusalem tout seuls. La raison d’un tel oubli est que les Latins ne voulaient pas se sentir redevables et surtout être obligés de se reconnaître comme des vassaux de l’empereur byzantin. Les chroniqueurs préférèrent faire abstraction de certains faits pour valoriser l’action des Latins, ce qui est de bonne guerre. Pour les chroniqueurs qui nous intéressent, c'est un peu pareil, on se rend compte à quel point nous avons affaire à des propagandistes du régime monarchique qui arrangent les faits à leur convenance pour nous transmettre leur vision tronquée de l'histoire de la Terre sainte.
Malgré ce que pourrait laisser croire ces chroniques, nous doutons que la création de l’ordre des Templiers puisse apparaître comme un long fleuve tranquille. On se souvient des paroles cruelles du moine cistercien Isaac de l’Étoile dans son sermon XLVIII à propos de la naissance de l’ordre des Templiers:
« Du même genre et presque au même moment est apparu ce monstre nouveau: une nouvelle chevalerie, dont l’observance, comme quelqu’un le dit spirituellement, « relève du cinquième évangile »: à coups de lances et de gourdins, forcer les incroyants à la foi; ceux qui ne portent pas le nom du Christ, les piller licitement et les trucider religieusement; quant à ceux qui, de ce fait, tomberaient dans ces brigandages, les proclamer martyrs du Christ […] »
Les Templiers ont assumé une voie originale: celle de chevaliers qui ont cherché à obtenir la contemplation de la chose divine pour établir une citoyenneté basée sur l’élection des laïcs comme gouvernants. En ce sens, ils ont en partie échoué à imposer leur projet à Jérusalem. L’opposition farouche d’une certaine noblesse franque avec les comtes de Tripoli à leur tête et les ambitions radicales des chanoines réguliers ont compromis la mission qu’ils s’étaient fixés.
Pris en étau entre la Respublica Christiana et le droit divin, les Templiers ont été une armée au service d’une idée qui ne se réalisera que des siècles plus tard.
Pourtant jusqu’à la fin, les Templiers ne se sont jamais résolus à renoncer à leur projet. On ne saurait dire si les Templiers ont été des anges ou des monstres comme le proclame Isaac mais ce qui est certain c’est qu’ils ne furent pas des enfants de choeur. Ils furent une redoutable armée pendant la bataille au service du roi élu.
Parfois, ils maniganceront des coups d’état comme à Jérusalem en 1186 quand le grand-maître des Templiers Richard de Rideford impose Guy de Lusignan comme roi de Jérusalem au détriment du régent Raymond III de Tripoli, ce qui a sans doute contribué à la chute du premier royaume latin de Jérusalem en 1187. Autre coup d’état en 1277: quand le grand-maître des Templiers Guillaume de Beaujeu impose à Saint-Jean-d’Acre l’autorité de Charles d’Anjou au détriment de celle d’Hugues III de Lusignan qui, en représailles, confisque les biens du Temple sur l’île de Chypre.
Les Templiers sont aussi derrière certains soulèvements populaires comme les révoltes siciliennes contre les croisades organisées par les empereurs germaniques. L’empereur Frédéric II sera lui aussi amené à confisquer les biens du Temple. Avec les vêpres siciliennes et les mâtines de Bruges, la chevalerie française ne sera pas non plus épargnée par la vindicte des frères templiers et les représailles du roi de France, Philippe le Bel, seront terribles.
Pour honorer leur engagement ou pour défendre leurs intérêts, les Templiers n’hésiteront pas non plus à procéder à des éliminations ciblées d’individus jugés dangereux. Le patriarche Etienne de la Ferté est peut-être le premier d’une longue liste d’exécutions toujours menées avec le souci de la discrétion, à part quelques bavures comme le meurtre retentissant en 1173 de l’émissaire de la secte des Assassins. Après ce vilain forfait, on prête au roi Amaury Ier d’avoir eu dès cette époque l’intention de dissoudre l’ordre du Temple en Syrie, ce qui n’arriva pas car le roi mourut le 11 juillet 1174, victime d’une dysenterie au siège de Panéas. Cette fois-ci, les templiers n'y sont pour rien.
par Jean-Pierre SCHMIT
NOTES
1. Il existe deux versions encore plus tardives, la première du notaire italien Antonio Sicci de Verceil qui fut quarante ans au service des Templiers. En 1311, pendant le procès des Templiers, il déclare que les premiers Templiers bénéficiaient du « relief », c’est-à-dire des restes alimentaires de l’hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem. Pendant neuf ans, ils furent neuf, avec pour mission la garde du col au sud de Haïfa. On suppose qu’il s’agit de la garde de la « tour du détroit », sorte de petit fortin qui protège le bord de mer entre Haïfa et Césarée, passage emprunté par les pèlerins et qui avait la réputation d’être un véritable coupe-gorge.
Si on distingue deux périodes pour les « proto-templiers » de 1114 jusqu’à 1119 au service des chanoines réguliers et entre 1119 et 1128 au service du roi de Jérusalem, il n’y pas de raison de douter du fait qu’une de leurs missions pour la deuxième période fut de stationner dans la tour du détroit au service de la protection des pèlerins.
La version du notaire Antonio Sicci qui incite sur le droit de reliefs perçu par les Templiers sur l’ordre des Hospitaliers peut s’expliquer dans le cadre d’une justification d’une dévolution des biens templiers à l’ordre des Hospitaliers.
Par contre, le deuxième témoignage, issue de la Chronique des maîtres décédés de l’Hôpital, écrit avant 1472, paraît plus curieuse. Nous n’avons pas pu lire ce témoignage directement et nous devons nous contenter de ce que nous rapporte l’historienne Simonetta Cerrini. Il semble que ce témoignage, s’appuyant toujours sur le fait que les Templiers percevaient le droit de reliefs sur les frères hospitaliers jusqu’à la premiere moitié du XIIIe siècle, a voulu faire des proto-templiers des donats de l’ordre de l’Hôpital. Il y a trop d’incohérences dans les dates données et les personnages cités pour que l’on accorde un quelconque crédit à cette version. La seule chose qui nous interpelle dans ce texte issu de l’ordre des Hospitaliers, est qu’au XVe siècle des chevaliers hospitaliers ont cru bon de créer une intimité spirituelle et historique un peu forcée entre ces deux ordres de chevalerie. Les Hospitaliers avaient reçu les biens des infortunés Templiers il y a bien longtemps (1312), dévolution qui ne semble jamais avoir été remise en question à notre connaissance. On se demande si ce témoignage quelque peu baroque aurait un rapport avec une tradition templière au sein de l’ordre des chevaliers hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, de Rhodes et de Malte?
Cf: Simonetta Cerrini; La Révolution des Templiers, une histoire perdue du XIIe siècle; éditions Perrin, 2007, pp. 75-78
2. Michel le Syrien, Chronique de Michel le Syrien, Patriarche Jacobite d'Antioche (1166-1199), traduction J-B CHABOT, tome III, éd Ernest Leroux, Paris, 1905. pp 201-203
3. Guillaume de Tyr, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, par M. GUIZOT, livre XII, Paris, 1824. pp 202-205
4. ERNOUL, Chronique D'Ernoul et de Bernard le Trésorier, par M. Louis De Mas La Latrie, éd librairie de la société de l'histoire de France, Paris, 1871. pp 7-9
5. Jacques de Vitry, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, par M. GUIZOT, livre I, Paris, 1825. pp 118-124
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10. Dominique Poirel. Les templiers, le diable et le chanoine: le Sermo ad milites Templi réattribué à Hugues de Saint-Victor. Jacques ELFASSI, Cécile LANERY et Anne-Marie TURCAN-VERKERK,. micorum societas. Mélanges offerts à François Dolbeau pour son 65e anniversaire., SISMEL-Edizioni del Galuzzo, pp.635-663, 2013. halshs-03331506
11. Alain Demurger, dans son ouvrage Les Templiers, une chevalerie chrétienne au Moyen-Âge, page 28, semble convaincu par l’argumentation de l‘historien Rudolf Hiestand qui part du fait que le concile de Troyes est daté du 13 janvier 1128 selon le calendrier florentin en usage dans le nord de la France. Selon ce calendrier, l’année se termine le 25 mars. Donc, selon notre calendrier moderne, l’année commençant au 1er janvier, on peut dater le concile de Troyes de l’année 1129, ce qui reporte selon ces historiens la date de la création de l’ordre des Templiers en 1120. Mais, selon notre calendrier moderne et pas forcément selon le calendrier utilisé en Terre Sainte à la même époque. On peut aussi objecter qu’il n’est pas certain que le concile de Troyes fut daté selon l’année civile en vigueur dans le nord de la France mais qu’il aurait pu tout aussi bien être daté selon le calendrier julien, utilisé au Moyen-Âge par la Très Sainte Église catholique, romaine et apostolique pour dater ses documents officiels. Si cette objection était recevable, le concile de Troyes et le concile de Naplouse seraient inclus dans le même espace temporel qui avait pour seule référence l’Église de Rome. Dans cette perspective, quand le concile de Troyes affirme que la création de l’ordre des Templiers a eu lieu en 1119, cela exclurait d’office l’hypothèse du concile de Naplouse puisqu’il a eu lieu en janvier 1120. On imagine aussi que si le concile de Naplouse avait validé d’une manière ou d’une autre la démarche d’Hugues de Payns et de ses compagnons, le concile de Troyes y aurait fait référence, ne serait-ce que pour renforcer le dossier de la nouvelle milice.
12. À l’appui de la thèse du concile de Naplouse, l’historien Alain Demurger cite une donation faite en 1137 par le châtelain de Saint-Omer et son fils Oston entré chez les Templiers, où il est précisé que « Guillaume châtelain de Saint-Omer et son fils Oston donnent les églises de Slype et de Leffinge, et leurs dépendances, aux chevaliers du Temple, qui, avec le conseil du patriarche Warmond et des barons, s’étaient consacrés à la défense de la Terre sainte et à la protection des pèlerins. »
Parmi toute la documentation concernant les chartes des Templiers de cette époque, c’est le seul acte connu où est cité le patriarche Gormond de Picquigny en relation avec les Templiers. Cet acte est daté de 1137, c’est-à-dire neuf ans après le concile de Troyes. Guillaume II, châtelain de Saint-Omer, qui fait cette donation, est probablement le frère de Godefroy de Saint-Omer, l’un des deux principaux fondateurs de l’ordre du Temple. Mais il est surtout marié avec Mélisende de Picquigny, la soeur du défunt patriarche de Jérusalem, Gormond de Picquigny (1118-1128). Manifestement, dans cette donation relativement tardive, Guillaume II de Saint-Omer a voulu rendre hommage à l’action de son beau-frère, le patriarche de Jérusalem. Seulement les faits sont têtus. Ce que l’on peut constater est que le concile de Troyes qui officialise l’ordre des Templiers a eu lieu après la mort du patriarche Gormond de Picquigny et que nous ne possédons aucun acte dans les années 1119-1128 qui puisse confirmer un quelconque soutien du patriarche vis-à-vis des Templiers. Pire encore: la plus belle occasion qu’aurait eu Gormond de Picquigny de soutenir la démarche des Templiers aurait été de les citer lors du concile de Naplouse qui a eut lieu en janvier 1120, ce qu’il se garda bien de faire.
Notre sentiment vis-à-vis de cette donation est que nous avons affaire à un acte de propagande tardif pour réhabiliter l’action de ce patriarche qui fut plus que médiocre vis-a-vis de la nouvelle chevalerie au moment où le Templier Oston de Saint-Omer, fils de Mélisende de Picquigny, cherche à faire une brillante carrière au sein de l'ordre des Templiers. La seule chose que l’on puisse dire, est que si Gormond de Picquigny ne favorise en rien le développement de l’ordre pendant son patriarcat, il ne s’y opposa pas non plus de manière frontale, peut-être eu égard au fait qu’aux côtés d’Hugues de Payns se trouvait le chevalier Godefroy de Saint-Omer qui avait des liens de famille avec le patriarche de Jérusalem.
Un des fils de Mélisende de Picquigny, Gautier de Saint-Omer, épouse en 1130 Echive de Bures, princesse de Galilée et de Tibériade. Cette princesse épousera en secondes noces en 1174, Raymond III de Tripoli, le grand ami de Guillaume de Tyr, qui reprendra à son compte la propagande initiée en 1137 par les Saint-Omer et la soeur du patriarche de Jérusalem.
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