L'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech 3ème partie
« La forme de la mitre tire son origine de la Bible : ses deux pans représentent l'ancien et le nouveau testament, que le pontife doit connaître afin de s'en mieux servir contre les forces du mal. Ces deux proéminences sont assimilées aux deux cornes que le Seigneur avait accordées à Moïse quand il descendit de la montagne sacrée. La mitre est donc le symbole de la connaissance accordée aux évêques comme un privilège, et leur devoir est de la prêcher, tels des descendants du messager terrestre auprès du peuple élu. »
d'après le Rationale divinorum officiorum de Guillaume Durand, traité théologique sur les représentants du Seigneur et leurs attributs ; XIII° siècle; in Histoire et Images médiévales ; n°32, p.60
Le grand pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle qui part de Jérusalem pour aller en Galice dans la péninsule ibérique visiter le tombeau de l'apôtre Saint-Jacques a été mis en place au début du XII° siècle.
L'histoire a retenu le nom des hommes qui sont à l'origine de ce projet. Ce sont les patriarches de Jérusalem Étienne de Chartres (1128-1130) et Guillaume de Messines (1130-1135), l'archevêque de Compostelle Diego Gelmirez (1100-1139), avec l'appui du pape Innocent II (1130-1143) et du chanoine Aymeric Picaud chanoine du Saint-Sépulcre à Jérusalem avant de devenir chanoine à Saint-Jacques-de-Compostelle à partir de 1131. Ces hommes ont imaginé un pèlerinage initiatique qui part d'Orient pour aller en Occident mais qui peut se réaliser dans les deux sens.
On ne peut imaginer aujourd'hui à quel point ce grand pèlerinage chrétien nous faisait pénétrer de plein pied dans la modernité du monde médiéval. Le parcours du grand pèlerinage cheminait en Occident de ville en ville, où commençaient à s'élever toutes ces belles cathédrales. Ces blanches robes d'église dominaient un nouveau monde urbain loin de ces seigneurs féodaux qui régnaient dans leurs sombres forteresses sur des campagnes austères et peu savantes .
La cathédrale, siège de l'évêque, avec son cloître de chanoines réguliers, et son école épiscopale, devient le lieu d'une production intellectuelle jamais connue dans l'Occident médiéval. Elle attire autour d'elle tout un monde d'artisanat, de commerce, qui donne naissance à une bourgeoisie urbaine qui prend petit à petit conscience de sa capacité à s'administrer elle-même au détriment de cette vieille noblesse féodale retranchée dans leur forteresse.
C'est bien là tout l'objectif du grand pèlerinage de Saint-Jacques : celui d'une métamorphose de la condition humaine. Comme la chenille devient papillon, l'être animal deviendra un être spirituel et les hommes assujettis à un seigneur féodal deviendront des citoyens libres et égaux en droit.
C'est bien entendu autour du triptyque cathédrale, cloître et école épiscopale que vont s'organiser les instruments de la métamorphose, et l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech fait partie des outils élaborés par l'église grégorienne pour structurer la révolution de cette Respublica Christiana.
Deux aspects ressortent dans la structure idéologique de cette république chrétienne. La première est une ecclésiologie basée sur la hiérarchie. Le support de cette idéologie repose essentiellement sur le 'Corpus Dionysiacum', composé de cinq œuvres attribuées à Denys l'Aréopagite : la Hiérarchie Céleste, la Hiérarchie Ecclésiastique, les Noms Divins, la Théologie Mystique et un recueil de dix lettres.
Ces œuvres seront abondamment commentées au Moyen-Age. Le but de la hiérarchie est de conférer aux créatures, autant qu'il se peut, la ressemblance divine et de les unir à Dieu. Mais cette union est progressive et dépend des capacités de chacun dans ses efforts de purification. D'où la nécessité d'une transmission de la « lumière divine » par degrés.
Dans la Hiérarchie Céleste, ces degrés sont divisés en trois ordres, eux-mêmes constitués de trois degrés.
La Hiérarchie Ecclésiastique sera elle aussi constituée d'un ensemble de trois fois trois triades. Sans rentrer dans les détails, en bas de la pyramide se trouve l'ordre des initiés qui comprend le peuple saint, avec les néophytes et les pénitents ainsi que les moines. Les moines sont les intermédiaires entre les initiés et les initiateurs. Au-dessus se situe l'ordre des prêtres, qui illumine, et plus haut l'ordre des évêques, qui consacre. C'est ainsi que par degrés les ordres qui précèdent distribuent à ceux qui suivent la lumière divine qu'elle a reçue elle-même en présent et qui se répand providentiellement sur toutes les essences à la mesure de leurs capacités.
Le second aspect de la République Chrétienne est son attachement à une arithmologie basée sur une science des nombres symboliques – science largement inspirée de l'école pythagoricienne et que les chanoines réguliers utiliseront pour interpréter les Saintes Écritures. C'est à travers les œuvres du philosophe grec Platon comme le Timée ou la République que la tradition pythagoricienne va imprégner l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech.
Au Moyen-Age, l'école épiscopale la plus célèbre pour ce travail d'exégèse est l'école de Chartres. Son évêque, Yves de Chartres (┼1116), un des meilleurs spécialistes du droit canonique, se fit connaître pour avoir su imposer la suprématie du statut des chanoines réguliers sur celui des moines au sein de l'Église grégorienne. Il fut reconnu aussi pour son grand attachement au philosophe grec Platon. C'est à travers saint Augustin, Chalcidius, Macrobe, Boèce et d'autres que l'école de Chartres fit ressurgir l'œuvre de Platon.
C'est aussi à travers l'œuvre de Platon que la science des nombres pythagoriciens illuminera d'un regard nouveau l'Ancien et le Nouveau Testaments. Les maîtres issus de cette école seront nombreux au Moyen-Age. Les plus illustres sont : Gilbert de la Porrée, Thierry de Chartres, Guillaume de Conches, ainsi que Bernard de Chartres, Alain de Lille et Bernard Sylvestre.
Le patriarche de Jérusalem Étienne de Chartres était issu de ce milieu intellectuel. Étienne de Chartres, appelé aussi Étienne de la Ferté, entretenait les meilleurs relations avec l'archevêque de Saint-Jacques-de-Compostelle. C'est aussi lui qui approuva la Règle des Templiers en 1129.
Il a été dit que le goût des clercs du Moyen-Age pour une arithmologie symbolique attachée à l'interprétation biblique les avait fait passer à côté des tendances lourdes du progrès que constituait à cette époque les mathématiques arabes comme l'algèbre, développé plus tard en Occident et qui reste la base de nos mathématiques modernes.
Cette critique reste justifiée. Les équations algébriques n'ont pas suscité l'intérêt de nos clercs car toute leur attention était tournée vers autre chose : la quête du Saint Graal au Moyen-Age restait la construction d'un espace symbolique universel. La science des nombres au Moyen-Age avait un grand intérêt quand elle était étroitement associée à une cosmologie en accord avec les Saintes Écritures, et particulièrement lorsqu'elle était associée à l'art de la géométrie – schéma de pensée plus proche de la philosophie de la Grèce antique que des traités mathématiques d'Al Khwarizmi (ca. 780-ca 850), inventeur de l'algèbre. C'est dans le domaine particulier de la géomètrie que l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech va réussir sa quête - quête dont nous pouvons constater qu'aujourd'hui encore nous n'avons pas pris toute la mesure. Les traités d'arithmologie célèbres au Moyen-Age sont l'œuvre d'hommes comme Hugues de Saint-Victor, Thibaut de Langres, Geoffroy d'Auxerre ou Odon de Morimond. Les deux derniers cités sont d'ailleurs des moines cisterciens, qui auront la particularité d'avoir occupé tous les deux le poste de secrétaire auprès de saint Bernard, abbé du monastère de la Claire Vallée.
Le grand pèlerinage de Saint-Jacques nous fait cheminer de l'Italie du Sud jusqu'en Galice. Nous choisirons un certain nombre d'étapes, comme la cité de Bari, le Mont Cassin, Rome, Arles. Nous ferons un petit détour par la cité de Saint-Bertrand-de-Comminges avant de rejoindre notre objectif final : Saint-Jacques-de-Compostelle. Nous avons délibérément omis certaines étapes cruciales comme l'illustre abbaye des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse qui sera traitée à part dans un article concernant le Baphomet.
Pour que ce pèlerinage soit conforme à l'esprit de l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech, nous avons essayé d'introduire le lecteur à une symbolique des nombres à travers les étapes de ce parcours . Le but de cette initiation était une conversion de l'être, à travers la vision aboutie d'une cosmologie universelle, la fameuse 'lumière divine' – ce qui dans la tradition selon l'ordre de Melchisédech nous fera passer du nombre 666 au nombre 515.
Le nombre 666 est le nombre de la Bête, l'antique serpent dont chacun d'entre nous subit sans même s'en apercevoir l'effet du mortel venin. Quant au nombre 515, il est le nombre de la Rédemption et l'antidote au venin mortel.
l'évêque, prêtre-roi
Pour le pèlerin en provenance de Terre Sainte et qui se rend à Saint-Jacques-de-Compostelle, l'arrivée au port de Brindisi sans encombre est un soulagement. Son premier objectif, une fois débarqué, est de se rendre dans la cité voisine de Bari, à la basilique Saint-Nicolas. Le pèlerin y fera ses dévotions à saint Nicolas, le saint protecteur de tous les marins qui font la traversée de la Méditerranée entre l'Italie du sud et la Terre Sainte.
L'histoire et la légende de Saint Nicolas l'associent étroitement à l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech. Il est, à l'image de Melchisédech, une figure de l'évêque, incarnant son rôle de médiateur entre le monde céleste et le monde terrestre.
Nicolas a connu la persécution avant que Constantin ne rétablisse les libertés religieuses, lui permettant de reprendre sa fonction d'évêque. Saint Nicolas fut un des premiers maillons de la longue chaîne au service d'une Republica Christiana qui défend une citoyenneté chrétienne. N'oublions pas que si saint Nicolas est le protecteur des marins, il est aussi le patron des écoliers à une époque où les écoles épiscopales sont en plein développement.
Cette dévotion particulière pour saint Nicolas nous incite aussi à penser que l'église grégorienne cherchait à s'attacher l'héritage de cette église orthodoxe que l'on appelait alors byzantine. Et c'est un fait que l'art byzantin a fortement influencé l'esthétique grégorienne. La croix des anges portée par les templiers par exemple a pour origine la croix grecque.
De même, l'ecclésiologie grégorienne doit sa théologie à l'œuvre attribuée à Denys l'Aréopagite, premier évêque d'Athènes converti par l'apôtre saint Paul au Ier siècle.
La figure de saint Nicolas se retrouve aux deux extrémités du pèlerinage de l'Apôtre Saint Jacques en Occident. Son corps repose à Bari en Italie du Sud, après que les habitants de la ville soient allés le dérober en 1087 à Myre, en Asie Mineure – cité aux mains des turcs.
A l'autre bout du pèlerinage, dans la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle, une chapelle ainsi que l'autel privé de l'archevêque de Compostelle lui étaient consacrés.
L'évêque, tel le prêtre-roi Melchisédech ou le roi-philosophe de Platon, devait posséder la connaissance des choses divines pour conduire avec sagesse les choses terrestres. C'est cette connaissance qui légitime son pouvoir sur l'administration des 'choses' publiques, la 'res' publica. Rappelons aussi que saint Nicolas est l'ancêtre du père Noël, celui qui vient apporter les cadeaux aux enfants pour fêter la naissance du Sauveur, fête qui se substitua dans la religion romaine à la fête de la naissance du Solis Invecti , le Soleil Invaincu, au solstice d'hiver.
666, et le calcul de la Grande Année
La première révélation qui peut nous être dévoilée par l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech concerne la science des étoiles. Elle permet de connaître les grands cycles du temps, et de calculer la précession équinoxiale – c'est-à-dire le temps qu'il faudra à l'axe du pôle Nord pour que sa rotation qui parcourt l'enveloppe d'un cône puisse faire un tour complet et revenir à sa position initiale.
La précession équinoxiale correspond plus ou moins à une période de 25750 ans, comme sur ce schéma de Philippe Andréoli :
schéma tiré du livre de Philippe Andreoli, Les Origines de la Tradition, site: www.saint-bertrand-symbolique.com
C'est un calcul complexe car l'axe de la Terre est incliné par rapport à sa rotation autour du Soleil, et la déclinaison terrestre qui est d'environ 23°439 n'est pas constante et varie notamment à cause de l'attraction du Soleil et de la Lune de 1°459 sur la gauche et 1°167 sur la droite – phénomène que l'on nomme la nutation et qui donne ce côté serpentin à la révolution terrestre.
La compréhension de ce déplacement est majeure dans l'observation des astres, par laquelle les mages, les philosophes et les évêques pouvaient lire le grand livre du ciel. Une représentation dans le cloître de la cathédrale d'Elne illustre l'importance de l'astronomie pour les chanoines réguliers : un grand dragon domine une scène où l'on voit un pèlerin devant qui les Rois Mages désignent une étoile. Cette scène du cloître des chanoines réguliers de la cathédrale d'Elne nous parle du don de prophétie qui ouvre la voie à la littérature des vaticinations – littérature qui prétend annoncer l'avenir du monde à travers la lecture du ciel.
Voilà devant nous l'antique Serpent, la précession équinoxiale, nommée aussi Grande Année. Dans l'Antiquité, les grecs l'appelait l'Ouroboros, c'est-à-dire « le serpent qui se mord la queue » - symbole de l'évolution cyclique de la création que les grecs représentaient entouré des douze signes du Zodiaque avec au centre « Chronos Saturne », le Temps.
Le terrible dragon, l'antique serpent qui domine le pèlerin est le maître du monde d'en bas. Il peut être responsable de la corruption des meilleures cités.
Dans le chapitre VIII de la République de Platon (427-347 av JC) , il nous est dit :
« Il est difficile qu'un état constitué comme le vôtre s'altère ; mais, comme tout ce qui naît est sujet à la corruption, ce système de gouvernement ne durera pas toujours, mais il se dissoudra, et voici comment. Il y a, non seulement pour les plantes enracinées dans la terre, mais encore pour les animaux qui vivent à la surface, des retours de fécondité ou de stérilité qui affectent l'âme et le corps. Ces retours se produisent lorsque les révolutions périodiques ferment les circonférences des cercles de chaque espèce, circonférences courtes pour celles qui ont la vie courte, longues pour celles qui ont la vie longue. »
Pour Platon, les révolutions périodiques fermant les circonférences des cercles de chaque espèce déterminent la stérilité ou la fécondité des âmes.
Dans le monde d'en bas, qui est la Terre, la révolution périodique de l'espèce humaine entre dans le calcul de la précession équinoxiale – ou Grande Année.
Dans son ouvrage sur la République, Platon va plus loin. Il prétend nous livrer le temps de cette révolution périodique qui concerne le cycle des générations humaines à travers un rébus de géométrie.
Malgré son aspect rebutant, nous citons ce rébus car il a longtemps été une des clefs de l'Enfer. Platon commence par cette phrase :
« Pour les générations divines il y a une période qu'embrasse un nombre parfait. »
Platon ne donne aucune indication sur ce nombre parfait. Il dit ensuite :
« Pour celles des hommes, au contraire, c'est le premier nombre dans lequel les produits des racines par les carrés – comprenant trois distances et quatre limites – des éléments qui font le semblable et le dissemblable, le croissant et le décroissant, établissant entre toutes choses des rapports rationnels. Le fond épitrite de ces éléments, accouplé au nombre cinq, et multiplié trois fois donne deux harmonies : l'une exprimée par un carré dont le côté est multiple de cent, l'autre par un rectangle construit d'une part sur cent carrés des diagonales rationnelles de cinq, diminués chacun d'une unité, ou des diagonales irrationnelles, diminués de deux unités, et, d'autre part, sur cent cubes de trois. C'est ce nombre géométrique tout entier qui commande et aux mauvaises naissances , et quand vos gardiens, ne le connaissant pas, uniront jeunes filles et jeunes gens à contretemps, les enfants qui naîtront de ce mariage ne seront favorisés ni de la nature, ni de la fortune. »
Nous sommes avertis : ne pas connaître le nombre de générations humaines, c'est prendre le risque d'être sous la domination de l'antique serpent et de conduire à la dégénérescence de sa cité. Seulement, il faut bien avouer que Platon ne nous facilite pas la tâche. A moins d'être initiés à cette géométrie en faisant partie de la fraternité des Pythagoriciens, il n'est pas aisé d'être un gardien éclairé de la 'chose' publique.
Heureusement, l'apôtre saint Jean l'Évangéliste va venir à notre secours; en nous révélant le nombre de la Bête. Saint Jean nous dit dans l'Apocalypse (13,18) :
« C'est ici qu'il faut de la finesse ! Que l'homme doué d'esprit calcule le chiffre de la Bête, c'est un chiffre d'homme : son chiffre, c'est 666. »
Le nombre de la Bête est calculé en multipliant 6x6x6=216. 216 est le nombre des générations humaines qui est obtenu par le triangle cosmique, triangle de Pythagore élevé au cube : 33+43+53= 216.
Le rébus de Platon se résout par une construction de proportions entre solides qui aboutit à l'intéressante relation entre 4 cubes 63= 33+43+53 . Le chiffre 6 est aussi l'aire du triangle de Pythagore.
En cosmologie le nombre 216 doit être rapproché des 2160 années que le soleil met pour parcourir chaque signe zodiacal. Les Anciens avaient établi, en observant le soleil le jour de l'équinoxe, que le déplacement annuel du point vernal sur l'écliptique s'effectuait à raison d'un degré en soixante-douze ans. Au bout de 30 générations, 30x72=2160 ans, le soleil entrait dans une nouvelle constellation zodiacale. Aujourd'hui le soleil est dans la constellation du Poisson, qui fut le symbole du Christ pour les premiers chrétiens, et le signe qui lui fait face dans le zodiaque est le signe de la Vierge. Bientôt le Soleil entrera dans la constellation du Verseau et le signe qui lui fait face est le Lion. Le cycle des 2160 ans va bientôt s'achever comme un vieil arbre desséché. Le signe du Verseau porte l'espoir d'une régénération et l'apparition d'un nouveau Paraclet, qui signifie « esprit de consolation ».
Le Zodiaque étant constitué de douze constellations, 12x2160 ans = 25920 ans. La taille de l'antique serpent, du grand dragon nous est enfin révélée.
Dans l'Antiquité et au Moyen-Age, l'Ouroboros faisait 25920 ans. Aujourd'hui le calcul des astronomes a revu à la baisse le temps de la précession équinoxiale. Sur son schéma, Philippe Andréoli donne 25750 ans mais ce nombre est très variable selon les calculs des astronomes. En général, il est situé aux alentours de 25.800 ans.
Hipparque (190-120 av. JC), astronome et mathématicien grec, fut le premier a vulgariser le calcul de la précession équinoxiale mais bien avant lui des confréries secrètes dont les membres se considéraient comme les gardiens de la Chose Publique savaient calculer la Grande Année.
On pense notamment à la secte des Pythagoriciens, qui selon la légende faisait du nombre 216 (6x6x6) le nombre d'années entre chaque réincarnation de leur maître Pythagore. (Voir Matila C. GHYKA, le Nombre d'Or, éditions Gallimard, 1959, p. 83 note 1)
Le sceau des gardiens de la Cité
Le pentagone régulier étoilé, appelé pentalpha, était le signe de reconnaissance de la confrérie secrète des pythagoriciens, gardiens de la Res publica.
Cette étoile à cinq branches était particulièrement prisée par les maîtres de l'Antiquité car elle contenait le fameux Nombre d'Or – un nombre qui établit une proportion harmonieuse entre deux dimensions de grandeurs différentes. La définition de ce rapport harmonique donné par l'architecte romain Vitruve (Ier siècle av J.C) est : « il y a de la petite partie à la grande, le même rapport que de la grande au tout ». La valeur de ce nombre irrationnel découle de l'équation : ½ (1+ √5)=1.618.
Depuis le Haut Moyen-Age, la bibliothèque du monastère bénédictin du Mont Cassin en Italie conservait un abrégé des livres de Vitruve sur l'architecture du monde. Cette divine proportion sera le canon esthétique de l'architecture romane au Moyen-Age.
Dans son ouvrage le Guide de la France Templière, p. 37, Laurent Dailliez nous rappelle qu'au Moyen-Age la mesure est le pied oriental (0,36 m). Il nous dit à propos de l'architecture des commanderies templières :
« On découvre ainsi les diverses séries de constructions dans une même commanderie par l'opération suivante : le pied multiplié par le nombre d'or et la section d'or. »
L'auteur ajoute :
« Pour les constructions templières, la puissance des symboles existe uniquement dans une philosophie de l'inconscient collectif, héritage des Pères de l'Église, et se situe dans le courant de recherches qui prit naissance au X° siècle et qui aboutit aux grandes réformes monastiques occidentales. »
Nous sommes tout à fait d'accord avec cet auteur pour dire que l'architecture templière utilisait le nombre d'or de la tradition pythagoricienne au même titre que l'architecture romane des monastères occidentaux. Par contre, nous réfutons le fait que les templiers pouvaient ignorer la puissance symbolique du rapport harmonique qui prévalait dans l'architecture de leurs commanderies.
Dans les Statuts Secrets des Templiers la Règle des Frères Élus , article 30, stipule que :
« sur la pierre tombale, on gravera le plus vieux signe du salut : le pentalpha »
On retrouve encore le nombre d'or dans l'église templière de Montsaunès sous la forme d'un tracé géométrique.
Les Templiers ont aussi utilisé l'Abraxas Panthée en contre-sceau pour signifier qu'ils n'ignoraient rien de l'Ourobouros et qu'ils étaient à même d'être les gardiens de la cité dont parle Platon dans la République - à la différence pour l'église grégorienne que la République était chrétienne et que la Cité s'appelait Jérusalem.
L'ouroboros a aussi été employé dans l'Abraxas Panthée, figurant en son centre un personnage à tronc d'homme armé d'un bouclier et d'un fouet avec une tête de coq, levé, scrutant le soleil et dont les jambes forment deux serpents. On y remarque aussi sept étoiles, le soleil, la lune et les cinq planètes Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Sont inscrites aussi les lettres alpha et oméga. Le mot Abraxas comprend sept lettres. La valeur numérique de chaque lettre donne la somme 365, les 365 jours de l'année de notre calendrier.
Dans la cité de Bari, sous les hospices de l'évêque de Saint Nicolas, le pèlerin vient de recevoir son premier enseignement. Il fait partie du peuple saint de l'ordre des initiés.
Le monastère du Mont Cassin
Quand le pèlerin sort de la cité de Bari, sa prochaine étape est le prestigieux monastère du Mont Cassin. En se rendant dans le monastère fondé par saint Benoit de Nursie, père de l'Europe, le pèlerin gardera toujours à l'esprit que la connaissance des astres s'acquiert en parcourant la via tenebra dominée par l'astre lunaire. Cette voie est périlleuse. L'inscription de la croix du saint père Benoît est là pour nous le rappeler :
« Non draco sit mili dux », « Que le dragon ne soit pas mon Chef »
Dans l'ordre des initiés, l'étude des astres était réservée aux anges seuls capables de lire le livre du ciel. Dans son commentaire sur la Genèse, Origène (v.185-v.253), auteur omniprésent dans les bibliothèques des monastères, soutient que :
« les astres sont signes, non agents du destin des hommes , signes que les anges seuls, non les hommes, sont capables de lire.»
Les anges, ce sont en premier lieu les moines – au début les seuls autorisés à contempler les mystères célestes. Jean Cassien (v. 360-v.433), fondateur de l'antique monastère de Saint Victor de Marseille, dans son ouvrage sur les institutions cénobitiques rappelle que la règle des moines est de nature angélique. Il rajoute :
« Nulle vertu, en effet, ne rend mieux les hommes charnels égaux aux anges spirituels par l'imitation de leur genre de vie que le mérite et la grâce de la chasteté. »
Sous le pontificat du pape Urbain II (1088-1099) et sous l'influence du canoniste Yves de Chartres, les clercs vivants comme des moines auront eux aussi ce privilège. Ce seront les chanoines réguliers vivant selon la règle de saint Augustin.
9, le nombre de la vie angélique
Par leur règle de vie, les Templiers accédaient eux aussi au statut des anges. Les chroniqueurs des Croisades, au sujet de la fondation de la milice des Pauvres Chevaliers du Christ du Temple de Salomon, insistent sur le chiffre 9 qui dans la symbolique chrétienne, et selon la hiérarchie céleste de Denys l'Aréopagite qui comprend 9 étapes divines en 3 rangs, 9 est le symbole de la vie angélique. Ainsi, selon la légende, l'ordre a été fondé en 1119 et les Templiers auraient été 9 chevaliers pendant 9 ans.
Le nombre 9, associé à la vie angélique, est repris par Dante dans son œuvre la Vie Nouvelle, Il rencontre sa bien-aimée à 9 ans alors qu'elle est elle-même âgée de 9 années. Dante, dans le chapitre XXIX de la Vie Nouvelle, indique qu'il a choisi ce nombre en fonction des neuf cieux mobiles divisibles par trois.
Comme dans le rêve de Jacob, les anges descendent et remontent le long d'une échelle. Cette image de la Genèse (28,12) est reprise dans la Règle de saint Benoît de Nursie car elle marque la relation du moine avec les mystères divins.
L'église grégorienne eut sa propre lecture de l'échelle de Jacob. Elle était liée à l'admiration que cette église portait à la culture romaine et à sa vocation de défendre la Respublica christiana.
La Vierge, médiatrice entre le ciel et la terre
Dans son sermon dit de « l'Aqueduc » , saint Bernard fait de Marie, l'étoile de la mer, son échelle de Jacob. C'est elle l'intermédiaire entre le ciel et la terre. Elle est l'étoile du salut. Les chanoines donneront à Marie les attributs de la déesse Vénus, mère du peuple romain. Dans la religion antique, l'étoile Vénus était appelée chez les grecs Hesperus quand elle apparaissait le soir, et Phosphorus quand l'étoile brillait le matin. Chez les romains elle prendra les noms de Vesper et Lucifer. Les chanoines réguliers garderont l'appellation grecque d'Hesperus ou Esperus pour désigner l'étoile du soir car elle rappelle la vertu théologale de l'Espérance attachée à l'apôtre Saint-Jacques.
Le soleil couchant symbolise la descente des anges dans le monde d'en-bas, avec sa théologie de la nature. Au bout de l'Occident, apparaît Lucifer, l'étoile du matin annonciatrice du mystère divin. C'est la fin de la nuit, le lever du soleil de justice qui symbolise la remontée des anges vers le ciel. Dans cette voie pleine de lumière, le vertueux suivra la théologie par la grâce qui le mènera à la cité sainte : Jérusalem .
Ce que saint Bernard exprime à sa manière dans son très beau sermon sur la phrase du Cantique des Cantiques : « que tu es belle mon amie, que tu es belle, tes yeux sont ceux des colombes. »(cantique XLV). Sur cette phrase du Cantique des Cantiques, saint Bernard attire notre attention sur la répétition : « que tu es belle ». Voilà ce qu'il dit:
« Cherchons donc la double beauté de l'âme ; car il me semble que c'est surtout cela que [l'Époux] veut donner à entendre. La beauté de l'âme, c'est l'humilité. (…) La Vierge Marie n'a jamais perdu la sainteté et n'a pas manqué d'humilité, c'est pourquoi le roi a désiré sa beauté (Ps. XLIV,12) (…) Ou encore, elle exprime l'admirable beauté des deux substances dans le Christ : dans l'une la beauté de la nature, dans l'autre celle de la grâce. Que vous êtes beau à vos anges, seigneur Jésus (…) Lumière du soleil levant qui m'éclairez dans les ténèbres, combien vous m'êtes douce et agréable (Luc, I, 78) ! (…) Combien vous êtes éblouissant quand, après vous être couché, ô soleil de justice, vous vous levez du cœur de la terre !
Marie veille sur ce double pèlerinage dans les cieux mais aussi sur terre. Saint Bernard dans le même sermon écrit :
« Donc, tes yeux sont ceux des colombes. Désormais, dit l' Époux, tu ne t'élèves plus vers les sommets et les merveilles qui sont au-dessus de toi (cf. Ps. CXXX,1) ; mais, comme le plus simple des oiseaux, tu te contentes de choses simples, faisant ton nid dans les trous de la pierre (Cant. II, 14), t'attardant dans mes blessures, et regardant d'un œil de colombe ce qui se rapporte à moi, incarné et souffrant. »
La colombe est le symbole de l'Esprit Saint. Comme nous le dit Saint Bernard :
« C'est le regard spirituel plutôt que le regard simple qui est signifié par le nom de cet oiseau. »
La Vierge dans l'église grégorienne correspond à une connaissance, à une capacité à voir avec les yeux de l'esprit qui est au cœur de l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech. Cette connaissance du monde invisible à travers le visible c'est cette intelligence, cette 'lumière divine' qui donne la maîtrise sur le monde terrestre, exprimée notamment dans les constructions architecturales.
La foi des Rois Mages
Il est vrai que dans les premiers siècles de son existence, l'Église romaine, catholique et apostolique attachait peu d'importance aux bâtiments. Seule la communion du peuple autour du rite eucharistique avait une réelle signification. Le reste n'était qu'utilitaire. Mais l'anarchie croissante du monde carolingien, accompagnée d'une scandaleuse décadence des mœurs de son élite aussi bien que de son clergé, finit par décrédibiliser cette civilisation. Les hommes de bonne volonté finirent par aspirer à une grandeur passée.
Les premiers à l'affirmer au Moyen-Age furent les catalans. Dans l'acte de consécration du monastère de Ripoll daté du 18 novembre 977 en l'honneur de la Bienheureuse Vierge Marie, il est précisé :
« il la fit beaucoup plus grande que la précédente, surélevée d'un beau mur et d'une couverture de voûte. »
Cette précision n'a l'air de rien , elle est pourtant un défi lancé au monde carolingien. L'architecture et la capacité à jeter des voûtes en pierre pour couvrir les églises va devenir un enjeu de civilisation. Dans l'acte de consécration du monastère de Sainte-Marie de Ripoll, on retrouve en germe toute l'idéologie d'une église qui ne porte pas encore le nom de « grégorienne ».
Ce document est l'acte de naissance d'une nouvelle église. On y retrouve la référence à l'ascension corporelle de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui deviendra le temps fort de l'église grégorienne. On y remarque aussi cette affirmation que l'habitat terrestre dédié au Christ « devenait ici le domicile du Saint-Esprit ». Sans oublier l'essentiel : dans ce monastère les moines éliraient leur abbé selon la Règle de saint Benoît.
L'abbé de Sainte-Marie-de-Ripoll, Oliba (971-1046), dont le père Oliba 1er, comte de Cerdagne, finit ses jours au monastère du Mont Cassin, fit construire dans le monastère bénédictin de Saint-Michel de Cuxa, au-dessus des vénérables corps des martyrs Valentin, Flamidien et du confesseur Nazaire une église dédiée à la bienheureuse Vierge Marie ; cette crypte sera surnommée « la Crèche ».
On peut penser qu' avec Oliba Ier, comte de Cerdagne (vers 920-990), les catalans accèdent à la bibliothèque du monastère du Mont Cassin qui conservaient les livres de l'architecte romain Vitruve. Ces livres sont une sorte d'encyclopédie qui révélait les méthodes utilisées par les romains pour bâtir leurs cités. C'est probablement grâce à la bibliothèque du monastère de Saint-Benoît sur le Mont Cassin que l'on doit aux catalans d'être les premiers diffuseurs de cet art pré-roman - qui est en partie une tentative de renaissance des canons esthétiques de l'architecture romaine révélée par Vitruve.
Le fils du comte de Cerdagne, l''abbé Oliba, a fait au moins deux séjours à Rome. La « Crèche », dédiée à la Vierge Marie construite en forme de rotonde et voûtée de pierres avec un pilier central, a été jugée comme une référence explicite à l'église Sainte-Marie-aux-Martyrs de Rome – aussi bien par sa forme que par sa vocation à honorer les martyrs de la foi.
Tous ceux qui se sont intéressés à l'architecture templière ont remarqué que les maisons cheftaines de l'ordre dans les provinces d'occident comme Paris ou Londres avaient un plan central pour leurs églises. L'explication couramment admise est que ces églises prenaient comme modèle la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Mais c'est peut-être un peu vite oublier que la religion des frères templiers a été fondée en l'honneur de Notre-Dame à l'image de l'ordre cistercien de la Stricte Observance bénédictine. A Paris, l'église du Temple est consacrée Sainte Marie, et cette tradition mariale au sein du Temple pourrait tout aussi bien nous renvoyer tout droit sur l'architecture de l'église Sainte-Marie-aux-Martyrs, appelée aussi Notre-Dame de la Rotonde. En tous les cas, à la naissance de l'architecture romane en Occident au X° siècle, c'est cette église à Rome qui faisait l'admiration de nos moines réformateurs.
Maintenant que le pèlerin est introduit auprès de la Vierge Marie tel les Rois Mages, il peut quitter le Mont Cassin. Il est prêt à admirer Notre Dame et son divin mystère. Cette dame qui fit l'admiration sans borne de l'église grégorienne, c'est à Rome dans la cité de Saint Pierre qu'elle va nous apparaître dans toute sa plénitude.
Rome, la nouvelle Bethléem de l'Église grégorienne
Le 25 août 608, un moine bénédictin originaire des Abruzzes reçut l'investiture suprême sous le nom de Boniface IV (608-615). A cet occasion, le nouveau pape reçut en cadeau de la part de l'empereur byzantin Phocas (602-610) le temple romain du Panthéon.
Ce temple circulaire, coiffé d'une impressionnante coupole, avait été élevé au temps de l'empereur romain Hadrien (117-138) . Boniface IV le transforma en véritable reliquaire en y transférant les restes de milliers de chrétiens parmi lesquels ceux de nombreux martyrs qui étaient jusque là conservés dans les catacombes.
En 609, Boniface IV consacra le Panthéon romain à Sainte-Marie-aux-Martyrs en mémoire de tous ceux qui avaient versé leur sang pour témoigner du Dieu unique. L'histoire aurait pu s'arrêter là et on se serait contenté d'énumérer les dégradations que ce merveilleux bâtiment a subi au cours des siècles. Seulement Sainte-Marie-aux-Martyrs va devenir la Vierge de l'Église grégorienne.
Le défi architectural que constituait la coupole en pierre de cette église, qui fait un diamètre de 150 pieds romains - c'est-à-dire 43,30 m – a fini par convaincre les esprits réformateurs du Moyen-Age que cette civilisation carolingienne en pleine décadence féodale n'était que la caricature d'un empire.
Dans le haut Moyen-Age, faute de mieux, les architectes carolingiens se contentaient de couvrir leurs édifices avec des charpentes de bois. A Rome, l'église Sainte-Marie-aux-Martyrs, ou Notre-Dame-de-la-Rotonde, était la preuve évidente de la supériorité de l'ancienne civilisation romaine devenu chrétienne sous l'empereur Constantin.
Maintenant que nous sommes comme les Rois Mages devant Notre Dame, nous pouvons admirer son enfant.
C'est l'espace unifié, une sphère parfaite. Pour comprendre le miracle, il faut savoir qu'au Moyen-age la conception de l'espace s'appuyait sur la physique d'Aristote qui partait du centre de la terre, remontant en strates jusqu'aux différentes sphères étoilées.
La conséquence de cette conception de l'espace au Moyen-Age était que les plans en architecture se superposaient par strates successives.
L'opération de l'élévation de ses différents plans se faisait selon une méthode qui nous a été donnée dans un traité de Roriczer sur la Rectitude des Pinacles.
Cette conception médiévale de l'espace exclut l'idée d'un monde homogène et égal en toutes ses parties – qui sont les caractéristiques de l'espace de la citoyenneté des anges. La Divine Comédie du poète florentin Dante Aligheri est l'exemple parfait du passage d'une conception symbolique de l'espace à une autre.
Quand on a admire la sphère de Sainte-Marie-aux-Martyrs, nous reviennent les mots de Dante sur la géométrie:
« La Géométrie se meut entre deux choses en lutte contre elle, à savoir le point et le cercle – et je nomme « cercle » au sens large tout ce qui est rond, soit corps soit surface ; car comme dit Euclide, le point est principe d'icelle, et selon son dire encore le cercle est, en icelle, figure très parfaite qu'il faut donc tenir pour sa raison d'être et sa fin. De sorte qu'entre le point et le cercle comme entre principe et fin se meut la Géométrie, et tous deux sont en lutte contre sa certitude ; car le point, par son indivisibilité, échappe à toute mesure, et le cercle par son arc est impossible à carrer parfaitement, et pour ce ne saurait être mesurer au juste. Et encore : la Géométrie est très blanche, en ce qu'elle est sans tache d'erreur et très certaine par soi et par sa servante qui s'appelle Perspective. » Banquet, II, 13
Entre les murs de Sainte-Marie-aux-Martyrs c'est l'infini qui repose, et c'est sur ce mystère que l'église grégorienne voulait bâtir sa cité. Devant ce mystère, réécoutons les paroles de saint Bernard sur la gloire de la Vierge Marie :
«Approchez dans la chambre virginale, entrez si vous le pouvez dans la chambre de votre cœur. Voici en effet, que Dieu envoie à une vierge, un messager, voici qu'un ange parle à Marie. Mettez votre oreille contre la muraille, écoutez ce qu'il lui annonce si vous l'entendez peut-être serez-vous consolés. »
Les papes de la Renaissance comme Léon X (1513-1527) ont souvent été vilipendés pour avoir eu la folie des grandeurs. On leur a reproché de dépenser sans compter et vendre des indulgences pour financer leurs coûteux travaux. Mais la basilique Saint-Pierre de Rome, ce n'est pas seulement l'expression de la grandeur, c'est avant tout la réalisation d'un projet qui était appelé à dépasser le légendaire Temple de Salomon – qui, rappelons-le, était couvert d'une charpente de bois de cèdre du Liban.
L'architecte Bramante (1444-1514) qui imagina la basilique Saint-Pierre de Rome affirmait vouloir poser le Panthéon sur l'ancienne basilique romaine conçue sous l'empereur Constantin. Tout un programme que l'église grégorienne n'aurait pas désavoué. Finalement ce sera Michel-Ange (1475-1564) qui achèvera la coupole de Saint-Pierre de Rome. Elle se voulait la réplique du dôme de Sainte-Marie-aux-Martyrs et bénéficia de l'expérience de l'élévation de la coupole de Sainte-Marie-de-la-Fleur à Florence réalisée par l'architecte Filippo Brunelleschi. A la Renaissance, la maîtrise de la science géométrique permit de construire la nouvelle église citoyenne sur l'infini.
Arles, l'entrée dans la via Tolosana
En quittant Rome, nous nous dirigerons vers Arles. A partir de cette cité, le grand pèlerinage de Saint-Jacques entre sur la via tolosana – qui est en concurrence avec trois autres chemins : ceux qui partent de Notre-Dame-du-Puy, la via podiensis, de Vézelay, la via lemovicensis, et celle qui part de Paris ou de Tours, la via turonensis.
A partir d'Arles se fait aussi sentir l'influence du grand monastère bénédictin de Cluny – la seconde Rome du Moyen-Age. Les clunisiens donnaient au pèlerinage de Compostelle un caractère beaucoup plus dramatique – voire inquiétant. Le thème de l'Apocalypse, de la fin des temps , du Jugement dernier, gravé sur le tympan des cathédrales exprime le désespoir de ces moines de voir la civilisation carolingiennes se décomposer sous leurs yeux. A tous ces maux, les moines clunisiens n'imaginent qu'un seul remède qui est inscrit dans le codex Calixtinus du Grand Livre de Saint-Jacques.
L'empereur germanique doit lever une armée et s'engager sur le chemin de la Voie Lactée pour chasser les Maures d'Espagne et restaurer l'unité de l'empire carolingien. Rappelons que depuis la fin du Xème siècle les clunisiens étaient en charge de la réforme liturgique en Espagne. Les moines clunisiens ont toujours cherché l'appui des successeurs de la dynastie carolingienne pour mener à bien leurs projets.
Pour l'église grégorienne et les Templiers, le remède n'était pas loin d'être pire que le mal et c'est non sans humour qu'ils vont associer les quatre chemins de saint-Jacques aux quatre cavaliers de l'Apocalypse. Pour la via tolosana, qui est la voie de l'église grégorienne et de l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech, sera attribuée le cavalier blanc – qui est un Sagittaire, le seul des quatre cavaliers de l'Apocalypse qui n'incarne pas une calamité.
« Et voici qu'apparut à mes yeux un cheval blanc ; celui qui le montait tenait un arc; on lui donna une couronne et il partit en vainqueur, et pour vaincre encore. » (Apocalypse de Saint-Jean, VI,2)
L'étoile à seize rais des nouveaux rois mages
A quelques kilomètres de la cité d'Arles en Provence s'élève la chaîne des Alpilles. C'est dans ce massif montagneux que se dresse au-dessus du petit village de Baux la célèbre forteresse des seigneurs de Baux.
Les seigneurs de cette maison étaient les chefs de la mystérieuse confrérie des Rois Mages en Provence. Se prétendant descendants du Roi Mage Balthazar, ils portaient en blason l'étoile à seize rais.
L'histoire de ce blason reste à faire. Il semble qu'il soit attesté avec certitude à partir de Bertrand de Baux (┼ 1181).
Il n'est pas impossible que ce blason marque la réconciliation de la maison de Baux avec les comtes catalans qui au Moyen-Age dirigeaient la Provence. Au XII° siècle la lutte de ces deux maisons pour le contrôle de la Provence restera dans l'histoire sous le nom des guerres baussenques.
Il semble que l'étoile à seize rais soit plutôt un symbole issu de la péninsule ibérique. Elle est représentée sur une miniature d'un béatus de Las Huelgas, illustrant la préservation des élus lors de l'ouverture du sixième sceau dans l'Apocalypse de Saint Jean (VII ,1-8). Notre reproduction de la miniature n'est pas très lisible, mais l'étoile à seize rais se situe juste au-dessous de l'ange du Christ qui domine la scène.
Dans ce passage de l'Apocalypse, les quatre anges retiennent les quatre vents de la terre pour que tous les élus puissent recevoir sur leur front la marque des serviteurs de Dieu. La vision de Saint Jean se poursuit (Apocalypse VII, 9-11):
" Après quoi, voici qu'apparut à mes yeux une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue; debout devant le trône et devant l'Agneau, vêtus de robes blanches, de palmes à la main, ils crient d'une voix puissante: "Le salut à notre Dieu, qui siège sur le trône, ainsi qu'à l'Agneau!" Et tous les anges en cercle autour du trône, des Vieillards et des quatre Vivants se prosternèrent devant le trône, la face contre terre, pour adorer Dieu."
Dans le monastère de Saint-Michel de Cuxa, dont Oliba fut aussi l'abbé avec le monastère de Ripoll, existait un certain nombre de manuscrits dont l'un est aujourd'hui à la bibliothèque municipale de Perpignan sous la cote BM 1. Dans ce manuscrit, on remarque une illustration représentant l'Agneau de l'Apocalypse dans une mandorle circulaire entouré de seize personnages identifiés parmi les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse.
Le symbole des seize vieillards est à retenir car à l'entrée de l'église Sainte-Marie-aux-Martyrs à Rome, seize antiques colonnes gardent l'entrée du sanctuaire.
Dans la symbolique chrétienne, 8 est le chiffre de la Résurrection. Le nombre 16 symbolise la Parousie – c'est-à-dire, pour l'Église grégorienne, la naissance d'une nouvelle Église citoyenne portée par les anges.
A propos de la Parousie, dans l'Évangile de saint Jean (I,50-51), Jésus répondant à Nathanael dit :
« Parce que je t'ai dit : « Je t'ai vu sous le figuier », tu crois! Tu verras mieux encore. » Et il lui dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du fils de l'homme. »
Dorénavant l'étoile à seize rais va briller au firmament de tous ceux qui rêvent d'être des citoyens libres et égaux en droits. Ils seront salués par Béatrice (Divine Comédie, Paradis, XXIV, 1-3) :
"O Compagnie élue à la grande cène
de l'agneau béni qui vous donne une nourriture
si ineffable que votre désir est toujours satisfait."
Paradis, XXX, 128-132:
"(...) Regarde
combien nombreuse est l'assemblée des blanches robes!
Vois jusqu'où va le cercle de nos murs !
Vois nos gradins si remplis
que peu d'élus désormais y sont attendus !"
Quand on lève la tête à Saint-Pierre de Rome on remarquera que cette coupole est éclairée par seize fenêtres.
Au-dessus de notre tête est inscrit en latin sur le bord de la coupole : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux » (Mt 16:18).
Il est intéressant de faire remarquer que la Pape Léon X, qui conduisit les travaux de la coupole Saint-Pierre-de-Rome avec Michel-Ange, était issu de l'illustre famille des Médicis dont les membres étaient à Florence les chefs de la mystérieuse confrérie des Rois Mages.
Saint-Bertrand-de-Comminges
En sortant d'Arles nous suivons la via Tolosana.
La cathédrale Sainte-Marie à Saint-Bertrand-de Comminges est située sur une voie annexe de la via tolosana, la route du Piémont pyrénéen.
Dans cette cathédrale, nous pouvons admirer une partie de son pavement en noir et blanc – que certains ont qualifié de « maçonnique ».
Dans la tradition de l'Église romaine, le blanc a toujours été le symbole de la pureté ecclésiale. Par déduction, et selon la tradition de l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech, le noir est le symbole de la quête de l'illumination. Pureté et illumination, voilà toute l'exigence et toute l'espérance d'une âme introduite dans cette initiation.
Philippe Andreoli a fait remarquer que cette partie du pavé était aussi placée sur une ligne invisible. Cette ligne correspond au tracé du quadrilatère lunaire qui détermine la position de la lune au solstice d'hiver. Le solstice d'hiver est le moment où la lune est le plus haut dans le ciel et le soleil au plus bas. Ce pavement nous conduit bien au bout de la via tenebra.
à partir du schéma de Philippe Andreoli, Les Origines de la Tradition, site: www.saint-bertrand-symbolique.com
Saint-Jacques-de-Compostelle
Arrivé au bout de l'Occident, le pèlerin du Moyen-Age entrait dans la cathédrale Saint-Jacques-de-Compostelle par la porte Nord- la Porta Francigena, la porte des français. L'axe nord-sud de la cathédrale correspond au quadrilatère lunaire ; la porte sud était quand à elle réservée à l'archevêque de Compostelle portant la mitre.
L'archevêque était le détenteur de la connaissance symbolique avec la théologie de la nature. Sur le transept sud de la cathédrale c'est bien la lune qui est mise en avant ; par contre dans la nef et dans le reste de la cathédrale, c'est le soleil qui reprend ses droits à Saint-Jacques-de-Compostelle avec la théologie de la grâce.
515 et la perspective unifiée
Pour être en accord avec ce bout de l'Occident qui symbolise le solstice d'hiver,il nous faudrait révéler le grand mystère – celui de la géométrie de l'espace unifié. Mais ce sujet sera traité dans un autre article. Pour finir, nous aborderons « sa servante qui s'appelle Perspective ».
Tout au long de ce périple, nous avons pu constater que le pain des anges a souvent la saveur des nombres. Parmi ces nombres, un en particulier domine tous les autres aux enfers : c'est le nombre de la Bête, 666 – qui donne la valeur 216, nombre des générations humaines entrainées dans l'inexorable décadence de leur civilisation.
Au Moyen-Age, cette corruption des âmes prendra souvent le visage des hérétiques et des schismatiques – ennemis de l'église grégorienne, qui risquaient de faire sombrer à tout moment la Cité Sainte, Jérusalem.
Pour parer à ce cruel destin, les anges vont produire leur propre remède. Ce remède est un nombre rédempteur. Ce nombre est le 515.
Dans son étude sur l'Enfer de Dante, le professeur Rodolfo Benini nous dit :
« Dante imagina alors de régler les intervalles entre les prophéties et les autres traits saillants du poème de manière que ceux-ci se répondissent l'un à l'autre après des nombres déterminés de vers, choisi naturellement parmi les nombres symboliques. En somme, ce fut un système de consonances et de périodes rythmiques, substitué à un autre, mais bien plus compliqué et secret que celui-ci, comme il convient au langage de la révélation parlé par des êtres qui voient l'avenir. Et voici apparaître les fameux 515 et 666, dont la trilogie est pleine : 666 vers séparent la prophétie de Ciacco de celle de Virgile, 515 la prophétie de Farinata de celle de Ciacco ; 666 s'interposent de nouveau entre la prophétie de Bruneto Latini de celle de Farinata, et encore 515 entre la prophétie de Nicolas III et celle de messire Brunetto. » (Rodolfo Benini, « Per la restituzione della Cantica dell'Inferno alla sua forma primitiva », in Nuovo Patto, sept-nov 1921 cité par Lima de Freitas, 515, le lieu du miroir)
Dans l'Enfer de Dante, 666 et 515 se répondent. L'un et l'antidote de la morsure de l'autre. Ce qui nous intéresse maintenant est d'établir le rapport entre le nombre 515 et la construction de la perspective.
Le point de départ est le chant XXXIII,43 du Purgatoire de la Divine Comédie quand Béatrice annonce un envoyé de Dieu:
« où mû par Dieu un cinq cent dix et cinq
viendra occire enfin la larronnesse
et le géant qui fornique avec elle. »
A cette époque la larronnesse est l'Église installée à Avignon et le géant est cette monarchie française qui la domine.
Que savons-nous de la perspective ?
Vers les années 1415, l'architecte florentin Filippo Brunelleschi présente à ses compatriotes une expérience de la vue en perspective à l'aide d'un tableau et d'un miroir.
Cette vue part de la positon d'un spectateur situé à trois mètres à l'intérieur de la cathédrale Sainte-Marie-de-la-Fleur et qui regarde la baptistère de Saint-Jean situé en face de la cathédrale.
Rappelons qu'à travers les éléments de cette expérience, nous sommes bien dans l'univers de la stricte Observance bénédictine puisque les cisterciens bâtissaient toutes leurs églises en l'honneur de Sainte-Marie et que celle-ci était orientée sur les premiers rayons du soleil le jour du solstice d'été, jour dédié à Saint-Jean-Baptiste. Si on osait, on pourrait même penser que l'architecte florentin nous offrait à travers son expérience une sorte de nouveau baptême.
Cette expérience va donner lieu à la première réalisation d'une fresque en perspective unifiée, élaborée par l'architecte avec le concours du peintre Massacio. Cette fresque est située dans la basilique Sainte-Marie Nouvelle à Florence et représente la Sainte Trinité.
On remarque que la scène de la crucifixion est surmontée d'une voûte en pierre, avec des caissons semblables à ceux de la coupole Sainte-Marie-aux-Martyrs à Rome. Marie est représentée au pied de la croix face à saint Jean l'Évangéliste. A leurs pieds, un squelette représenté dans un sarcophage – ce qui n'est pas sans rappeler cette tradition mariale de protectrice des martyrs.
On remarquera aussi que la croix du Christ est en forme de Tau. C'est la marque des élus. Quand on admire cette Sainte Trinité dans l'église Saint-Marie Nouvelle, il faut, comme le dit saint Bernard : « regarder d'un œil de colombe ce qui se rapporte [au Christ] incarné et souffrant » car c'est ainsi qu'on pénètre d'un regard spirituel dans l'espace unifié qui est un espace de la nouvelle citoyenneté.
Un peintre semble avoir bien saisi le projet symbolique qui s'inscrit dans l'élaboration de la perspective unifiée. Il s'agit du peintre portugais Jorge Afonso (1470-1540). Ce peintre du XVI° siècle pose d'ailleurs la question de la survivance de la tradition symbolique issue de la Stricte Observance bénédictine – survivance qui va bien au-delà de la destruction de l'ordre des Templiers.
Dans le tableau de l'Apparition du Christ à la Vierge attribué à Jorge Afonso, on retrouve tous les acteurs qui sont familiers à l'univers de la Stricte Observance. On voit saint Jean-Baptiste qui montre du doigt à Adam et Ève la scène où le Christ fait son apparition à la Vierge Marie. Ce qui surprend dans cette peinture, c'est la place centrale qu'occupe la date du tableau inscrite sur un écusson porté par un ange. L'ange doit nous alerter sur le caractère symbolique de cette date qui est précisément 1515. Cette date contient le fameux nombre 515.
Est-ce un hasard ? Les anges et les nombres sont si fait pour s'entendre qu'on aurait du mal à le croire.
515 est un nombre dit 'miroir'. Or on se souvient que c'est précisément avec l'aide d'un miroir que Filippo Brunelleschi mettait face-à-face Marie et Saint-Jean-Baptiste. Dans le cas du tableau de Jorge Afonso, c'est le Christ qui fait office de miroir. Il est le '1' du '515'.
Dans la tradition de la Stricte Observance, Saint-Jean-Baptiste ferme l'Ancien Testament et Marie ouvre le Nouveau Testament. Le Christ est bien celui qui fait le passage de l'un à l'autre. Pour l'église grégorienne, c'est aussi le passage de l'homme animal représenté par Adam à l'être spirituel tel que le décrivait saint Augustin. Le 515 est un des deux nombres symboliques qui permettent de construire la perspective.
Dans son ouvrage, 515, le Lieu du Miroir ( Editions Albin Michel, 1993) Lima de Freitas qui a attiré notre attention sur le tableau de Jorge Alfonso a bien fait remarquer que certains passages du Purgatoire de la Divine Comédie annonçaient le 515. il cite notamment le chant XXXI, 121-123 :
« Comme dans un miroir le soleil rayonne, ainsi
le griffon rayonnait dans les yeux de Béatrice, tantôt
sous les traits de l'aigle, tantôt sous les traits du lion. »
Le griffon est un être fabuleux -moitié lion, moitié aigle – qui rassemble les deux natures terrestre et céleste ou encore animal et spirituel. Lima de Freitas cite aussi le chant XXIX, 67-69 :
« L'eau du Léthé, de par la vive lumière des chandeliers,
resplendissait à ma gauche et reflétait l'image
comme dans un miroir, lorsque je regardais. »
Si cet auteur a su faire le le lien entre ces chants du Purgatoire et le nombre miroir du 515, la finalité du projet concernant la construction de la perspective semble lui avoir échappé.
Pour aller plus loin, ou plus haut, s'agissant de la Divine Comédie, la deuxième clef se situe au Paradis quand Dante nous dit au chant XXII, 28-29 :
« Or de même que, là, le glorieux trône
de la dame du ciel [Marie] et d'autres sièges
placés dessous font ce noble partage,
de même, le grand Jean [Baptiste] se tient en face,
lui qui souffrit, toujours saint, le désert
et le martyre, et puis l'enfer deux ans »
Dans ce grand amphithéâtre qu'est la Rose du Paradis, Dante place Marie et Saint-Jean-Baptiste face-à-face dans le cercle le plus élevé et sur la même circonférence. Dans les vers précédents, chants XXXII, 22-25, Dante avait pris le soin de préciser :
« De ce côté où, complète en ses feuilles,
la fleur s'épanouit, tu vois siéger
ceux qui ont cru dans le Christ à venir ;
de l'autre, où sont encor coupés de vides
les hémicycles, tu vois se tenir
ceux dont l'œil regarda le Christ venu. »
C'est le Christ miroir qui fait le passage d'un hémicycle à l'autre, de l'Ancien Testament au Nouveau.
Au nombre 515, pour élaborer la perspective, s'ajoute le nombre 3,14 qui est le rapport entre la circonférence du cercle à son diamètre car comme le dit Dante, Paradis chant XXXIII, 133-136 :
« Pareil au géomètre qui tout entier s’applique
à mesurer le cercle, et, point ne découvre
dans sa recherche le principe dont il a besoin ;
et j'étais moi devant cette apparition nouvelle ;
je voulais voir comment s'était unie l’image au cercle,
et comment elle y trouve son lieu. »
Nous savons que le peintre Jorge Afonso a participé à la décoration de la fameuse « charola », 'rotonde', de l'église du siège de l'ordre du Christ à Tomar. Après l'abolition de l'ordre des Pauvres Chevaliers du christ du Temple de Salomon en 1312 par la Pape Clément V (1305-1314) le roi du Portugal, Denis Ier, obtint du pape Jean XXII (1316-1334) l'autorisation le 14 mars 1319 par la bulle « Ad ea ex quibus » de créer l'ordre de notre Seigneur Jésus-Christ . Les autorités portugaises qui refusaient d'admettre la culpabilité des Templiers ont délibérément crée une nouvelle chevalerie pour offrir un asile aux Templiers portugais et à tous les chevaliers du Temple qui avaient pu se soustraire aux persécutions.
L'ordre du christ sera mis au Portugal sous la tutelle spirituelle de l'abbaye cistercienne d'Alcobaça, abbaye portugaise filiale de la Claire Vallée.
Il semble que la tradition templière au sein de l'ordre du Christ s'éteindra au milieu du XVI° siècle quand cette chevalerie tombera définitivement sous l'autorité de la monarchie.
Un certain nombre d'auteurs à propos du nombre 515 ont fait référence à un grade maçonnique: celui du 32ème degré du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) qui en compte 33 . Selon Lima de Freitas citant Pierre Guerin, ce grade compte cinq étendards formant le mot TENGU. Le deuxième étendard correspondant à la lettre 'E' est d'azur, porte un lion d'or tenant dans sa gueule une clef d'or, un collier d'or à son cou, sur lequel est inscrit le nombre 515. La devise est ad majorem Dei Gloriam . Le mot de passe est : Shaddaï (le Tout-Puissant = 314 = Métatron)
Le grade correspondant est « Sublime Prince du Royal Secret ». Les hauts grades de la maçonnerie écossaise ont été élaborés au XVIII° siècle. Les derniers grades du REAA se rapportent à la tradition templière, ce qui les lie avec la symbolique de la Stricte Observance bénédictine.
On peut facilement imaginer que le clergé catholique français s'est investi dans l'élaboration des hauts grades de la maçonnerie écossaise. Au mois d'août 1716, Jacques III Stuart, chassé d'Angleterre, arrive en Avignon avec une suite de cent cinquante personnages presque tous écossais. C'est cette petite colonie qui introduira en France un premier rituel maçonnique composé de trois grades.
Le combat de ces catholiques écossais face à des anglais protestants avait tout pour attirer la sympathie et le soutien du clergé français - et malgré l'anathème porté sur la franc-maçonnerie par le pape Clément XII, le 28 avril 1738 par la bulle 'In eminenti', le clergé français eut beaucoup de mal à rompre avec cette société secrète.
Dans son Histoire de la Franc-maçonnerie Universelle, Tome II, G. Serbanesco, pp. 115-116, donne la liste des membres d'une loge maçonnique fondée en 1770 à Angers. Parmi les officiers de cette loge nommée 'Tendre Accueil', on trouve :
« Vénérable Legrand, prieur de l'abbaye de Saint-Maur-sur-Loire ; 1er surveillant : Wiot, chanoine de la cathédrale d'Angers, official ; 2ème surveillant : Davy, bénédictin, procureur de l'abbaye de Saint-Maur-sur-Loire ; Orateur : Waillant de la Motte, chanoine de la chatédrale d'Angers, théologal ; secrétaire : Paillard Auguste, procureur de la maison d'Angers ; 2ème exert : Grappet Augustin, prieur à Angers ; Frère terrible : Bachelier, chanoine de la Collègiale de Saint-Pierre d'Angers ; et, parmi les membres : Boulnoy, chanoine de la cathédrale d'Angers, promoteur ; Dupin, bénédictin de l'abbaye de Saint-Maur-sur-Loire ; Giroust, diacre ; Dureau, bénédictin, procureur de l'abbaye de Saint-Florent-de-Saumur ; Terrion de l'Epinay, chanoine de la Collégiale Royale de Saint-Martin d'Angers ; de Perricard, bénédictin, sous-prieur de l'abbaye de Saint-Maur-sur-Loire ; Daburon de Mantelon, chanoine de Saint-Pierre ; Aubry, chanoine de Saint-Martin ; Brossier, archidiacre d'Angers ; Simonin de Vermondeau, prieur de Balac ; Lenoir, chanoine de l'église d'Angers ; Le Coursonnays, bénédictin ; Blisson, bénédictin. »
Il faudra une suite ininterrompue de condamnations successives et répétées émanant du Saint-Siège pour que le clergé catholique français finisse par renoncer à cette voie obscure. Une des conséquences de cette rupture pourrait être pour les maçons laïcs la perte d'une part du sens du rituel dont ils ont la charge. Sinon, comment expliquer que dans nos écoles de la République on puisse encore enseigner à nos enfants que deux droites parallèles se rejoignent à l'infini. Saint-Nicolas ne serait pas content. Un véritable moine-soldat, chevalier du Temple de Salomon, gardien de la chose publique, savait que l'infini ne se rejoint pas – et que toute géométrie sur l'infini est l'affaire du Tout-puissant (= Shaddaï = 314 = π = 3.14) qui est le rapport entre la circonférence d’un cercle et son diamètre.
Un point dans le Cercle,
Et qui se place dans le Carré et le Triangle,
Connais-tu le point? tout est pour le mieux,
Ne le connais-tu pas? tout est en vain!
La perspective est la porte d'entrée à l'espace de la citoyenneté et les Templiers en sont encore les gardiens, attendant le jour où les lions se transformeront en aigles pour voler jusqu'à Jérusalem - où l'être spirituel réalisera la démocratie universelle.
Voilà les cornes que le Seigneur avait accordé à Moïse. Voilà ce qui réunit l'Ancien et le Nouveau Testaments : une connaissance accordée aux évêques comme un privilège à travers l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech.
Leur devoir est de la prêcher car aujourd'hui la lumière a vaincu les ténèbres.
par Jean-Pierre SCHMIT