L’ermitage de San Bartolomé d’Ucero,
un maître maçon templier
« Mais comme le Grand Tout était une multitude illimitée, il fallait un ordre. Or c’est dans la Décade que préexistait un équilibre naturel entre l’ensemble et ses éléments. C’est pourquoi elle servit de mesure pour le grand Tout comme une équerre et un cordeau dans la main de l’Ordonnateur. » Nicomaque de Gerase, Theologumena
L’ermitage de San Bartolomé d’Ucero se situe dans le canyon du Rio Lobos près de la cité de Soria dans la province de Castille Léon en Espagne. On estime qu’il a été construit au tout début du XIIIe siècle. L’église fut probablement élevée dans le cadre d'une enclave templière implantée dans le dioscèse de Osma, comme en témoignerait une bulle datée du 10 octobre 1170 du pape Alexandre III.
Ce sanctuaire fait l’objet d’une dévotion populaire particulière puisqu’on vient y honorer la Vierge de la Santé placée dans la chapelle dite de l’Évangile.
Selon la croyance locale, il faut placer ses pieds sur la dalle de Santé qui se trouve à l’entrée de la chapelle car elle a le pouvoir de guérir les maladies.
En observant cette fameuse « dalle de santé », on est surpris d’y reconnaître la croix des Templiers avec en son centre l’étoile à six branches de la confrérie des bâtisseurs des Enfants de Maître Jacques, confrérie affiliée à l’ordre des Templiers.
Les archives de la cathédrale de Burgo de Osma ayant brûlés, aucune documentation ne vient établir un lien formel entre l’ordre des Templiers et cet ermitage même si depuis le XVIe siècle les historiens rattachent cet ermitage à l'ancien couvent des Templiers de San Juan de Otero1. Si la documentation nous fait défaut, les symboles lapidaires que nous retrouvons dans ces lieux ont fini par convaincre les chercheurs que ce sanctuaire a bien été construit par des frères Templiers.
Certes, il faut être attentif pour trouver l’empreinte des Templiers. Et cela se passait dès qu’on se présentait devant l’entrée de l’église.
Si on portait son regard vers le bas et sur la gauche, On pouvait remarquer le tracé de la croix des Templiers circonscrite dans deux cercles. Un cercle plus large et un cercle intérieur dans lequel est placée la croix2.
Mais cela c’était avant les travaux de rénovation du portail actuel.
Heureusement pour nous, les encorbellements nous racontent une histoire qui nous a déjà été contée dans d’autres sanctuaires templiers.
On remarque par exemple un chrisme que l’on a déjà vu sur l’église templière de Montsaunès, avec cependant une différence notable puisque si le P représente le Père, l'Alpha et l'Oméga le Fils et le S le Saint-Esprit, sur ce chrisme le S du Saint-Esprit est inversé et prend l'aspect du serpent sur l'Arbre de la Connaissance.3
C'est une configuration que l'on a déjà constatée sur un enfeu d'un chevalier templier au monastère de San Juan de la Pena en Aragon.
Ce chevalier ne devait pas être n'importe quel Templier puisque c'est dans ce monastère qu'était gardé le Saint Graal.
Parmi les encorbellements de San Bartolomé, on peut aussi admirer la Lune qui en hiver (soltice) domine le Soleil qui a dix raies , en référence à la tradition pythagoricienne du nombre 10, la décade ou « divine Tetraktys ».
Et enfin, juste au-dessus de l’entrée du sanctuaire, le monstre solsticial, symbole astrologique de la Chèvre-Capricorne, figurant à la fois le solstice d’hiver, la Porte des Dieux, mais aussi la figure du Paraclet, l’Esprit-Saint, que les Templiers vénéraient lors de leurs chapitres conformément aux usages liturgiques des chanoines réguliers de Saint-Sernin de Toulouse.
Autre détail qui a son importance ce sont les Pentalpha inversés qui ornent les oculus lobés placés aux extrémités des deux transepts de l’église.
L’église de San Bartolomé se situe sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle qui suit la Voie lactée. Comme tout sanctuaire religieux, elle fut bâtie selon des dispositions célestes bien particulières;
Si on ne peut établir formellement que cette église a bien appartenu aux Templiers, il apparaît en revanche que le maître-maçon qui a conduit les travaux de ce sanctuaire était bien un Templier. Un Templier initié qui va nous laisser sur son art toutes les indications possibles pour celui qui cherche à retrouver le « chemin des étoiles ».
La première étape consistera par observer une pierre gravée qui se situe à la première rangée de pierre de taille à l'extérieur de l’abside placée à côté du contrefort qui pointe vers l’Est. Le maître-maçon a posé cette pierre gravée lors du début de la construction de l'église en prenant comme référence le lever du soleil le jour de l’équinoxe. Cette première pierre nous indique que le sanctuaire est orienté selon les levers et la course de l’astre solaire.
Il est intéressant de remarquer que le maître-maçon de la confrérie des Enfants de Maître Jacques, confrérie gardienne de l’antique tradition architecturale romane, issue des leçons de l’architecte Vitruve et du philosophe grec Pythagore, s’est essayé dans l’abside de cette église aux nouvelles techniques de la croisée d’ogives.
On constate que le maître-maçon de l’art roman a cherché à faire évoluer son art selon les techniques de l’art gothique.
Ce sera d’ailleurs ce nouveau procédé d’élévation des voûtes dites « en croisée d’ogives » qui sera appliqué par la suite dans la construction de la cathédrale voisine de Burgos de Osma réalisée dans le premier tiers du XIIIe siècle.
À l’extérieur comme à l’intérieur, il faut être très attentif pour remarquer que le maître nous a laissé des indices sur son art comme avec ce tracé géométrique qui figure sur les murs de cette église.
La présence des symboles géométriques qui ornent cette église a fini par attirer l’attention d’un certain nombre de chercheurs et des travaux très éclairants ont été menés par certains d’entre eux. On pense particulièrement à M. Rafael Fuster Ruiz qui s’est intéressé aux alignements astronomiques de l’église de San Bartolomé4. C’est sur le résultat de ses travaux que repose une grande partie de cet article.
Rafael Fuster Ruiz commence par définir l’orientation de l’église avec l’azimut aux équinoxes et aux solstices.
Ensuite, le chercheur a déterminé la position du soleil au solstice d‘hiver alors que l’astre lumineux à son zenith se situe dans le tropique du Capricorne (figuré par une chèvre en astrologie).
Il a pu constater que les rayons du soleil viennent frapper au Midi la fameuse « dalle de Santé ».
Selon l’antique tradition romane inspirée des leçons de Pythagore, c’est au solstice d’hiver, au niveau du signe de la Chèvre-Capricorne, que les âmes des initiés montaient au Ciel à travers la Voie lactée pour retrouver leur divine nature. Le maître-maçon et les Templiers n’oubliaient pas d’emmener avec eux une clef qui ouvre les portes de ce voyage et qui consistait en un pentalpha, la source du Nombre d’Or de la tradition pythagoricienne.
On remarque que l'ombre portée du pentacle inversé du transept devient un pentacle droit sur le sol de l'église. Quand on admire ce tracé de lumière, on ne peut que saluer le savoir-faire du maître et on finit de se persuader que les Statuts secrets de l’ordre des Templiers sont véritablement authentiques tant ils sont proches de l’esprit qui règne dans ce lieu.
Mais l’enseignement ne s’arrête pas là. Rafael Fuster Ruiz fut attiré par un autre tracé situé à l’intérieur de l’église près d’une des fenêtres percées dans le mur semi-circulaire de l’abside. Notre maître-maçon, dans sa grande générosité, avait bien voulu attirer notre attention vers « l‘autre voie ».
En observant la chose, il faut bien admettre que ce tracé constituait une véritable énigme puisqu’on n’en avait jamais relevé de semblable. L’évidence était que ce tracé était propre à ce lieu. En se souvenant de la première leçon du maître-maçon qui veut que cette église prenne en compte la course du soleil et que notre maître-maçon était aussi un Templier qui a laissé sa marque au sol sur la dalle de Santé, Rafael Fuster Ruiz a pu émettre l’hypothèse qu’il existait un lien entre ce tracé et le phénomène des équinoxes.
Surtout si on prend pour référence la dalle de Santé qui se trouve à l’entrée de la chapelle de l’Évangile.
À partir de là, tout se met en place et le tracé du maître maçon s’éclaire puisqu’il nous décrit le phénomène qui se produit lors des équinoxes et qui concerne la dalle de santé.
Mais plus intéressant encore, Rafael Fuster Ruiz a identifié dans ce tracé la présence de la fameuse Patte d’Oie, symbole reconnu de la tradition secrète de la confrérie de bâtisseurs oeuvrant sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.
L’auteur en déduit que la patte d’oie est en réalité la représentation du Soleil se trouvant dans la constellation du Cancer . La constellation du Cancer étant représentée par un Y.5
Dans la tradition pythagoricienne, la constellation du Cancer symbolise la « porte des hommes » par laquelle l’âme divine qui préexistait de toute éternité traverse la voie Lactée pour descendre s’incorporer dans cette boue qui nous sert de corps. Mais traditionnellement ce phénome a lieu au soltice d'été?6 Pour les Pythagoriciens, ce phénomène était une véritable malédiction puisqu’elle soumettait nos âmes à la cruelle destinée.7 Pour confirmer que ses déductions étaient correctes, notre maître-maçon prendra le soin de placer une patte d’oie sur un des encorbellements de l’abside.
Ce voyage des âmes qui montent et qui descendent du Ciel était un thème particulièrement prisé par les gnostiques. C’est un thème que l’on retrouve sur d’autres églises templières.
Mais souvenons-nous que pour la confrérie des Enfants de Maître Jacques comme pour nos frères Templiers initiés à ces mystères, la « pierre de santé » ne fonctionne et permet à l’âme de traverser la Voie Lactée et de s’élever à travers les sphères célestes pour retrouver sa véritable nature divine que si on maîtrisait les propriétés de la divine Tetraktys
ainsi que celles attachées au tracé géométrique lié à la figure du Pentalpha.
Conclusion
Attention de ne pas faire des Templiers de simples philosophes adeptes de la secte des Pythagoriciens. La gnose pratiquée au sein du Temple est plus large. On entend certes parler de Pythagore et de Platon mais il faudrait y rajouter Zoroastre, Hermès Trismegiste et d’autres encore.8
Les Templiers ont évolué dans un univers propre à la foi révélée et au Panthéon des figures tutélaires de cette gnose, s’est invité toute la cohorte des anges déchus dont le général en chef avait pour nom le « porteur de Lumière », c’est-à-dire Lucifer.
Si on y réfléchit bien, et cela reste assez troublant, l'iconographie luciférienne a quand même beaucoup de points communs avec la figure du Saint-Esprit que les moines-soldats finiront par introduire dans leurs chapitres et que l’on dénommait Baphomet.
Au sein de l'ordre les Templiers, ces mystérieux chevaliers gardiens du Graal étaient gnostiques, docètes, faut-il aussi les considérer comme lucifériens?9
Sur cette question, nous touchons peut-être là à une des ambiguïtés des écrits scripturaires puisque l’ange de lumière qui apparaît à San Bartolomé au temps où la nuit semble avoir vaincu le jour pourrait être une référence au verset (12.16) de l’apocalypse de Saint Jean: « Moi, Jésus, j’ai envoyé mon ange vous attester ces choses pour les congrégations, je suis la racine et le descendant de David et l’étoile du Matin. »
Il y a aussi le deuxième Épître de Pierre (1.19): «Aussi avons-nous la parole prophétique plus certaine à laquelle vous faites bien de prêter attention, comme une lampe qui brille dans un milieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’astre du Matin se lève dans vos coeurs ».
Cette étoile du Matin, que les Romains appelaient Lucifer (Vénus) et qui annonçait la venue la lumière de l’aurore, reste dans le Nouveau Testament attachée à la présence de Jésus alors que sous l’influence de l’Ancien testament et du Livre d’Isaïe, la tradition patristique fera de l’étoile du Matin « Lucifer » la figure du Prince des Ténèbres.
Dans la liturgie des chanoines réguliers de tradition catholique l’étoile du Matin est associée à Marie portant l’enfant Jésus, incarnant la nouvelle sagesse divine qui chez les chanoines réguliers toulousains reste attachée à la Respublica Christiana. C’est ce que l’on peut constater dans la cathédrale romane de Roda de Isabena en Aragon avec la plaque funéraire de Raymond archidiacre de Roda Isabena.
Mais surtout, dans cette même cathédrale, avec le décor sculpté du sarcophage de l’évêque Raymond de Durban (1104-1126), ancien prieur des chanoines réguliers de Saint Sernin de Toulouse.
Le seul exemple iconographique que nous possédons à ce jour concernant un pentacle inversé qui annonce la venue de l'enfant Jésus se trouve dans une miniature représentant la scène de l'Adoration des Mages dans le Sacramentaire de Berthold daté de 1215-1217, issu de l'abbaye bénédictine de Weingarten en Allemagne.
Ce glissement sémantique autour de l’étoile du Matin entre le nouveau Testament et la tradition patristique reste une faille exploitable par les gnostiques en tous genres. On pense en premier lieu à des hommes comme maître Gervais de Tilbury, alias Kyot le Provençal, qui dans la version française du Parzival (1200) impose un rapport explicite entre Lucifer, chef des anges déchus, et les chevaliers templiers gardiens du Graal.
Par contre, dans les statuts secrets de l’ordre des Templiers des Frères Consolés article 18, il est dit: « Le néophyte est conduit aux archives où on lui enseigne les mystères de la science divine, de Jésus enfant et du véritable Baphomet (Saint-Esprit) » c’est-à-dire (c’est comme ça que nous le comprenons) un retour à l’enseignement des chanoines réguliers toulousains. Retour aux sources scripturaires peut-être voulu par le chapelain templier toulousain Guilhem de Saint Jean. Si cette hypothèse s’avérait juste, il faudrait aussi regarder ces statuts secrets10. comme une volonté de revenir à une certaine orthodoxie au sein de l’ordre des Templiers, plus tourné vers un enseignement opératif des maîtres maçons que vers la magie ritualiste, démarche qui aurait reçu l’appui du grand-maître des Templiers Thomas Bérard.
De toute évidence, il est très difficile de pouvoir conclure a posteriori de l’évolution de la spiritualité au sein de la religion des Templiers même si elle semble avoir pas mal dérivée à certains moments de son histoire.11
Jean-Pierre SCHMIT
NOTES:
1. Il n’existe pas de documentation sur l’ermitage de San Bartolomé avant 1477 . Le premier à aborder le sujet est Francisco Rades de Adrada (1572). Selon la tradition, il devait s’agir de l’église du couvent des Templiers de San Juan de Otero comme l’a déclaré Juan Loperráez dans son histoire du diocèse en 1788.
2. Doit-on en déduire une signification particulière? Ce cercle intérieur a-t-il un rapport quelconque avec une hiérarchie secrète au sein de l'ordre des Templiers?
3. Au Moyen-Âge, « Géométrie » tenait une équerre et un compas que l‘on appelait le Serpentin.
Ce Serpentin se retrouvait dans la statuaire de la cathédrale de Reims du XIIIe siècle quand le roi Salomon s’entretient avec Hiram, son architecte, pour élever le Temple de Salomon.
Sur sa pierre tombale, l’architecte de l’église Saint-Nicaise de Reims, Hugues Libergier (1229-1263) s’est lui-même fait représenter avec la maquette de l’édifice qu’il voulait bâtir, sa canne graduée d’architecte, son équerre et le fameux serpentin.
Il n’est pas impossible que le serpent du chrisme de San Bartolomé puisse être rattaché à cette connaissance de la géométrie qui permet d’élever des édifices. On peut rappeler que dans la Divine Comédie du florentin Dante Alighieri (1265-1321), que l’on soupçonne d’être affilié à l’ordre des Templiers, la reconstitution de l’Enfer avec Lucifer comme point central donnerait les éléments d’une nouvelle vision de l’espace liée à la géométrie descriptive. Géométrie descriptive qui aurait servi à l’architecte florentin Filippo Brunelleschi (1377-1446) pour réaliser l’exploit de couvrir la cathédrale de Florence avec la plus grande coupole jamais réalisée en Occident depuis l’époque de l’empire romain.
4. Raphaël Fuster Ruiz. "L'hypothèse des alignements astronomiques dans l'église de San Bartolomé de Ucero." in: Signes Lapidaires, catalogue des marques de pierre [en ligne]; 29 juillet 2013. Source:https://www-signoslapidarios-com.translate.goog/articulos/arquitectura-medieval/la-tradicion-de-la-arquitectura-sagrada/59-alineaciones-astronomicas-en-la-ermita-de-san-bartolome-de-ucero?_x_tr_sl=es&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc
5. Pour certains auteurs, la patte d'oie reste cependant une réference directe aux trois principaux levers de l'astre solaire de l'année.
6. D’après d’antiques traditions qui remontraient aux dieux sumériens, la descente de l’âme sur Terre comprendrait une période de neuf mois, égale à la gestation du foetus. Elle débuterait à l’équinoxe d’automne et aboutirait au solstice d’été. De même pour l’élévation de l’âme après la mort, qui débuterait à l’équinoxe de printemps pour aboutirait au solstice d’hiver. Il semble que cela impliquait aussi de prendre en compte le cycle de l’astre lunaire qui formait un couple avec le Soleil. Si le maître maçon faisait de son église un observatoire astronomique, il n’oubliait pas non plus que son art comprenait des considérations géobiologiques avec les réseaux d’eau qui circulent sous l’édifice, provoquant des énergies positives ou négatives. Le serpent du chrisme de san Bartolomé pourrait aussi bien avoir une dimension céleste et spirituelle avec l’art de la Géométrie et une dimension terrestre, voire charnelle, avec la prise en compte des forces telluriques.
7. La déstinée est liée aux démons et assujettie aux " temps ", c'est-à-dire à la conjonction astrale que ceux-ci déterminent. "ainsi donc le gouvernement de notre vie terrestre est tout entier au pouvoir des démons, par l'intermédiaire de nos corps: et c'est ce gouvernement qu' Hermès a nommé Destinée ".( traduction Festugière ,Corpus Hermétique, I. 9 )
8. Hermès et Zoroastre ont dit que la race des philosophes est au-dessus de la Destinée, du fait qu'ils ne se réjouissent pas du bonheur qu'elle procure - car ils dominent les plaisirs -, qu'ils ne sont pas frappés par ses maux - eux qui toujours mènent une vie retirée.
9. Dans le roman Parzival (1200-1203), où sont décrits certains mystères concernant le château du Graal gardé par les Templiers, il est dit: « Il y avait des anges qui n’avaient pas voulu prendre parti quand commença la lutte de Lucifer et de la Trinité. Tous ces anges, nobles et bons, Dieu les a contraints à descendre sur Terre pour garder cette pierre.[…] Depuis lors, la pierre est gardée par ceux que Dieu lui-même a désigné et a qui il a envoyé un de ses anges. Voilà Seigneur, ce qu’est le Graal. » (Tome II, p. 38)
Il est clair que Lucifer n’est pas condamné par les gardiens du Graal puisqu’ils décident de rester neutres et d’en subir les conséquences. Quant à l’ange envoyé de Dieu, on croit reconnaître derrière cette figure un de ces philosophes qui ne sont pas soumis à la destinée. La difficulté étant d’identifier ce philosophe. Dans le roman Titurel, Wolfram von Eschenbach revient sur cette idée en expliquant qu’à la fondation de la communauté , un ange était venu apporter au grand-père d’Anfortas un message divin. Certains éléments dans le Parzival laisseraient à penser que ce philosophe à l’origine du message divin constitutif de la chevalerie du Graal pourrait être Hermès Trismegiste, ou le Triple Hermès, qui serait apparu à trois époques différentes. La première apparition aurait eu lieu avant la Déluge et concerne l’histoire des anges déchus puisque suivant le Livre d’Hénoch (arrière-grand-père de Noé), ce sont les anges déchus qui ont enseigné aux hommes la connaissance des secrets de la nature, connaissance qui aurait fini par tous les corrompre. Certains éléments iconographiques nous amènent à penser que l’on pourrait aussi chercher du côté des écrits d’un certain Rosinus, c’est-à-dire de l’alchimiste grec Zozime de Panopolis, pour avoir un aperçu de cette gnose enseignée parmi les Templiers.
10. H. Prutz, qui fit une critique des statuts secrets de l’ordre des Templiers, partait du principe que ces statuts ne pouvaient être authentiques puisque selon lui la religion des Templiers était dualiste, gnostique luciférienne alors que les statuts secrets étaient docétistes, panthéistes et déistes. Sans vouloir revenir sur ces différents qualificatifs, la différence de ton entre divers documents concernant les Templiers peut simplement s’expliquer par le fait qu’au sein de l’ordre des Templiers, nous ne sommes pas face à bloc idéologique homogène. Il faut toujours avoir à l’esprit qu’il y a deux ordres des Templiers en un: celui créé à Jérusalem en 1119 dont la culture est issue du nord de la France et un second ordre des Templiers créé le 27 novembre 1143 à Gérone en Espagne dirigé vers la reconquête de la péninsule ibérique et de culture occitane. C’est ce deuxième ordre des Templiers occitan qui va développer une gnose hermétique au sein de l’ordre des Templiers et qui prendra l’ascendant au sein du chapitre général après la troisième Croisade avec la complicité du roi plantagenêt Richard Coeur de Lion. S’il y a eu une gnose luciférienne au sein de l’ordre des Templier, elle fut certainement combattue en interne et les statuts secrets seraient le reflet de ces débats internes et non la marque d’une falsification.
11. On imagine que cela a dû dépendre des personnages qui avaient le plus d’influence sur ces chapitres et de quel maître ils se sentaient le plus proches. Zoroastre par exemple préconisait le recours à « la connaissance de toutes choses d’en haut ainsi qu’à la magie du langage corporel » c’est-à-dire aux formules magiques qui contraignaient les démons aussi bien pour améliorer le sort de l’âme après la mort que pour adoucir la vie terrestre.
On sait que maître Gervais de Tilbury, élevé à la cour des Plantagenêt, alias Kyot le Provençal, qui rédigea en 1200 l’exemplaire français du Parzival où sont décrits certains mystères concernant le château du Graal gardé par les Templiers, était un adepte inconditionnel de la magie corporelle.
Par contre, cela semble moins vrai dans le cas des statuts secrets de maître Roncelin de Fos rédigés en 1240. La présence d’un ouvrage comme le Policraticus de Jean de Salsibury placé dans la bibliothèque des Templiers semble même une pierre dans le jardin de Gervais de Tilbury puisque dans cet ouvrage on y dénonce justement ces clercs à la cour des Plantagenêt passionnés de magie et d’astrologie comme l’était Gervais de Tilbury.
Pour un gnosticisme plus « soft », ces Templiers suivront plutôt les leçons d’Hermès puisque, dans son ouvrage sur la Vie retirée, Hermès s’en prend à la magie en disant « qu’il ne faut pas que l’homme pneumatique qui se connaît lui-même rectifie quoique ce soit même par la magie - même si l'on pense que c'est bien - ni qu'il fasse violence à la Nécessité, mais qu'il la laisse comme elle est par nature et par décision (divine), qu’il suive son chemin en se consacrant exclusivement à se chercher soi-même, que ayant appris à connaître Dieu, il domine la Triade qu’on ne peut dénommer et qui laisse la destinée faire ce qu’elle veut de sa propre boue, c’est-à-dire du corps. Et après avoir ainsi exercé votre intellect et vous être ainsi comporté, vous contemplerez le fils de Dieu qui devient tout pour l’amour des saintes âmes afin de tirer l’âme de la région de la destinée vers la région incorporelle. Vois-le devenant tout, Dieu, ange, homme sujet à la souffrance, il devient tout ce qu’il veut. Et il obéit au Père; s’insinuant à travers tout corps, illuminant l’intellect de chaque âme, il le pousse dans la région bienheureuse, là où il était déjà avant que l’élément corporel ne vienne à l’être, (l’intellect) le suit et sous son action se tend et est guidé vers cette lumière ».