Règle de Saint Augustin (lettre 211)

Saint Augustin; Livre de prières de Clément VII Avignon, vers 1378-1383 Avignon, Bibl. mun., ms. 6733, f. 55

L'évêque d'Hippone, après des reproches paternels et des plaintes touchantes, adresse à des religieuses un ensemble de prescriptions restées célèbres dans le monde chrétien sous le nom de Règle de saint Augustin.

 

1. De même que la sévérité est toujours prête à punir les péchés qu'elle trouve, ainsi la charité ne veut rien trouver à punir. C' est pourquoi je ne suis point allé vers vous quand vous avez demandé à me voir, non pour la joie de votre paix, mais pour l'aggravation de ce qui vous divise. Mais n'étant pas là, il y a eu parmi vous un désordre que mes yeux n'ont pas vu, mais qui, par vos voix, a frappé mes oreilles : si, moi présent, quelque chose de pareil avait éclaté, comment aurais-je pu le compter pour rien et le laisser impuni ? Peut-être même le désordre eût-il été plus grand devant moi, par suite de mon refus d'accéder à vos désirs : ce que vous me demandiez aurait été un dangereux exemple contre la saine discipline et ne vous eût pas convenu à vous-mêmes. Je vous aurais donc trouvées telles que je n'aurais pas voulu, et vous m'auriez trouvé tel que vous ne vouliez pas.

2. L'Apôtre écrivant aux Corinthiens, leur disait : « Je prends Dieu à témoin sur mon âme que c'est pour vous épargner que je ne suis point encore allé à Corinthe. Nous ne dominons point sur votre foi, mais nous désirons contribuer à votre bonheur (II Cor. I, 23.); » je vous dis la même chose que l'Apôtre, parce que c'est pour vous épargner que je ne suis pas allé vers vous. Je me suis épargné aussi moi-même, de peur que je n'eusse tristesse sur tristesse; j'ai mieux aimé, au lieu de vous montrer mon visage , répandre pour vous mon cœur devant Dieu, et m'occuper de la cause de votre grand danger, non pas auprès de vous par des paroles, mais auprès de Dieu par des larmes. Je l'ai supplié de ne pas changer en deuil la joie que vous me donnez depuis longtemps; c'est vous qui me consolez au milieu de tant de scandales qui remplissent ce monde; je pense à votre société nombreuse, au chaste amour qui vous unit, à votre sainte vie, à l'abondante grâce de Dieu qui vous a été donnée : vous devez à cette grâce divine, non seulement d'avoir renoncé au mariage, mais encore d'avoir choisi la vie en commun, pour qu'il n'y ait plus parmi vous qu'une âme et qu'un cœur en Dieu.

3. A la vue de ces biens, de ces dons de Dieu qui sont votre partage, mon cœur a coutume de se reposer des pénibles agitations que lui causent les maux du reste du monde au milieu de beaucoup de tempêtes : « Vous couriez si bien; qui vous a arrêtées? Ce qu'on vous a persuadé ne vient pas de Dieu qui vous a appelées . Un peu de levain... » (Gal. V, 7, 8, 9. ) Je ne veux pas dire ce qui suit; je désire, je prie Dieu, je demande plutôt que ce levain se change en quelque chose de meilleur, de peur que toute la masse ne se change en pis, comme c'était presque déjà fait. Si, vous ranimant, vous êtes revenues aux bonnes pensées, priez de peur que vous n'entriez en tentation; priez pour que du milieu de vous disparaissent les contestations, les jalousies, les animosités, les divisions, les médisances, les mutineries, les dénonciations. Car, en prenant soin de vous, nous n'avons pas planté et arrosé le jardin du Seigneur pour ne recueillir que des épines. mais si, trop faibles, vous n'êtes pas encore rentrées dans le repos, priez pour que vous soyez délivrées de la tentation. Celles qui vous troublent, s'il en est encore et si elles ne se corrigent pas, porteront, quelles qu'elles soient, la peine de leur rébellion.

4. Songez à ce qu'il y a de mal que nous ayons à déplorer des schismes intérieurs dans un monastère, pendant que nous nous réjouissons de voir les donatistes rentrer dans l'unité. Demeurez constantes dans les bonnes résolutions, et vous ne désirerez plus changer votre supérieure, avec laquelle, depuis si longtemps, vous avez vu croître votre nombre et vos années; elle vous a portées, comme une mère, dans son âme, si ce n'est dans son sein. Vous toutes qui êtes dans ce monastère, vous l'y avez trouvée quand elle obéissait à la sainte supérieure ma sœur dont elle possédait l'affection, ou bien vous l'avez trouvée supérieure elle-même, et c'est elle qui vous a reçues. Sous elle vous avez été instruites, sous elle vous avez pris l'habit, sous elle votre communauté s'est accrue; et vous vous soulevez pour qu'on vous la change quand vous devriez pleurer si nous voulions vous la changer! C'est la même que vous avez connue, la même qui vous a reçues, la même avec laquelle, depuis tant d'années, votre monastère est devenu si nombreux. Il n'y a de nouveau chez vous que le supérieur : si c'est à cause de lui que vous cherchez de la nouveauté, et si c'est en haine de lui que vous vous révoltez ainsi contre votre mère, pourquoi n'avez-vous pas demandé que ce soit plutôt lui qu'on vous change? Si cela vous fait horreur, parce que je sais avec quel respect vous l'aimez dans le Christ, pourquoi n'aimez-vous pas davantage votre mère? Les premiers temps de la direction de votre nouveau supérieur sont tellement troublés, qu'il aime mieux vous quitter que de se résigner à entendre dire que, sans lui, vous n'auriez pas cherché une autre supérieure. Que Dieu donc calme et apaise vos esprits! que l'œuvre du démon ne l'emporte pas en vous, mais que la paix du Christ triomphe dans vos cœurs. Ne courez pas à la mort par le dépit de n'avoir pas obtenu ce que vous vouliez, ou par la honte d'avoir voulu ce que vous n'auriez pas dû vouloir ; mais plutôt recouvrez votre vertu par le repentir; imitez les larmes de Pierre le pasteur et non pas le désespoir de Judas le traître.

5. Voici les règles que nous établissons pour être observées dans le monastère. D'abord, puisque vous êtes réunies en communauté pour vivre d'un bon accord dans la maison, n'ayez qu'un cœur et qu'une âme en Dieu. Qu'aucune de vous ne dise : ceci est à moi, mais que tout soit commun entre vous. Que votre supérieure distribue à chacune de vous la nourriture et le vêtement : non pas de la même manière à toutes, parce que vos forces ne sont pas égales, mais à chacune selon son besoin. Car vous avez lu dans les Actes des Apôtres : « Tout était en commun parmi eux et on donnait à chacun selon son besoin (Act. IV, 32, 35). » Que celles d'entre vous qui avaient quelque chose dans le monde, à leur entrée dans le monastère, consentent volontiers que cela devienne un bien commun. Mais que celles qui n'avaient rien ne cherchent pas dans le monastère ce qu'elles ne pouvaient avoir dehors; toutefois qu'il soit accordé à leur infirmité ce dont elles ont besoin, quand même, pauvres dans le monde, elles n'auraient pas pu y trouver le nécessaire. Pourtant qu'elles ne se croient pas heureuses parce qu'elles ont trouvé une nourriture et un vêtement comme elles n'en avaient pas hors du monastère.

6. Qu'elles ne lèvent pas la tête parce qu'elles sont devenues les compagnes de celles dont elles n'auraient pas osé s'approcher dans le monde; mais qu'elles tiennent leur cœur élevé, qu'elles ne cherchent pas les biens terrestres, de peur que les monastères ne commencent à n'être utiles qu'aux riches et non pas aux pauvres, si les riches s'y humilient et que les pauvres s'y enorgueillissent. De leur côté, que celles qui paraissaient être quelque chose dans le monde, n'aient pas de dédain pour leurs sœurs venues d'un état pauvre à ce saint état ; qu'elles s'appliquent plutôt à se glorifier, non pas du rang de leurs parents riches, mais de la société de leurs sœurs pauvres. Qu'elles ne tirent pas vanité de ce qu'elles ont apporté à la vie commune, de peur que leurs richesses, données à un monastère, ne soient pour elles un plus grand sujet d'orgueil que si elles en avaient joui dans le monde. Toute autre iniquité a pour résultat de produire des œuvres mauvaises ; mais l'orgueil a des pièges, même pour nos bonnes œuvres, afin qu'elles périssent. Et que sert de répandre en donnant aux pauvres et en devenant pauvre soi-même, si l'âme, dans sa misère, se laisse aller à plus d'orgueil en méprisant les richesses qu'elle n'en avait en les possédant? Vivez donc toutes dans une parfaite union; honorez, les unes dans les autres, ce Dieu dont vous êtes devenues les temples.

7. Appliquez-vous à la prière dans les heures et les temps marqués. Que personne dans l'oratoire ne s'occupe d'autre chose que de celle pour laquelle l'oratoire est fait et d'où il tire son nom : il ne faudrait pas que ce qu'on voudrait y faire empêchât celles d'entre vous qui voudraient y prier quand elles le peuvent hors les heures marquées. Quand vous priez Dieu avec les psaumes et les hymnes, ayez dans le cœur ce que la voix fait entendre; ne chantez que ce qui doit être chanté; quant à ce qui n'est pas écrit pour être chanté, ne le chantez pas.

8. Domptez votre chair par le jeûne et l'abstinence du manger et du boire, autant que votre santé le permet. Lorsque l'une de vous ne peut pas jeûner, elle ne doit cependant prendre de la nourriture qu'à l'heure du repas, à moins qu'elle ne soit malade. Quand vous êtes à table, jusqu'à ce que vous vous leviez, écoutez sans bruit et sans dispute ce qui vous est lu selon la coutume : que ce ne soient pas seulement vos bouches qui prennent de la nourriture , que vos oreilles reçoivent aussi la parole de Dieu.

9. Si on donne une autre nourriture à celles qui sont faibles par suite d'anciennes habitudes, celles que d'autres habitudes ont rendues plus fortes ne doivent pas se plaindre de cette différence de régime ni la croire injuste. Qu'elles ne regardent pas comme plus heureuses celles qui mangent ce qu'elles ne mangent pas elles-mêmes : mais qu'elles se félicitent plutôt de pouvoir ce que celles-là ne peuvent point. Si les sœurs qui ont passé d'une vie délicate au monastère reçoivent en fait de nourriture, de vêtement, de lit et de couvertures, quelque chose que d'autres plus fortes, et par conséquent plus heureuses ne reçoivent pas, celles à qui ces choses ne sont pas données doivent considérer de quelle grande vie du monde sont descendues leurs compagnes délicates en embrassant la profession religieuse, quoiqu'elles n'aient pas pu arriver à la frugalité des plus robustes. Elles ne doivent pas se troubler de ce que d'autres reçoivent davantage, non comme marque d'honneur , mais par pure tolérance : il serait détestable que dans le monastère, où les femmes riches deviennent aussi dures pour elles-mêmes qu'elles le peuvent, les pauvres devinssent délicates. Les malades, pour ne pas être chargées, prennent moins de nourriture; après la maladie, il faut les traiter de manière qu'elles soient promptement rétablies, lors même que, dans le monde, elles auraient appartenu à la condition la plus pauvre : le mal les a rendues délicates comme le sont les riches par leur vie d'autrefois. Mais aussitôt qu'elles ont retrouvé toutes leurs forces, elles doivent revenir à leur heureuse habitude, qui convient d'autant plus à des servantes de Dieu, qu'elles ont moins de besoins : il ne faut pas que, redevenues bien portantes , elles veuillent vivre comme quand il était nécessaire de soutenir leur faiblesse. Que celles-là se croient les plus riches qui pourront supporter le plus de privations. Car mieux vaut avoir besoin de moins que d'avoir plus.

Que votre habit n'ait rien qui le fasse remarquer ; ne cherchez pas à plaire par vos vêtements, mais par vos mœurs. Que la légèreté de vos voiles ne laisse pas voir votre coiffure. Que vos cheveux ne paraissent pas; ils ne doivent ni flotter avec négligence, ni être arrangés avec art. Quand vous sortez, allez ensemble; quand vous êtes arrivées où vous voulez aller, tenez-vous ensemble. Dans votre marche, votre attitude, votre air, dans tous vos mouvements, que rien ne puisse inspirer de mauvais désirs, mais que tout s'accorde avec la sainteté de votre état. Que vos yeux même, en tombant sur quelqu'un, ne s'attachent sur personne. Lorsque vous cheminez, il ne vous est pas défendu de voir des hommes, mais seulement de les rechercher ou de désirer qu'ils vous recherchent. Ce n'est pas uniquement par le toucher, c'est aussi par le sentiment et les regards que s'échangent les mauvais désirs. Ne dites pas que vos cœurs sont pudiques si vos yeux ne le sont pas : l'œil qui n'est pas chaste est le messager d'une âme qui ne l'est pas. Lorsque, même la langue se taisant, deux cœurs vont l'un à l'autre par le regard et jouissent de leurs mutuelles et charnelles ardeurs, ils ont cessé d'être chastes quoique le corps soit resté pur de toute atteinte. Celle qui arrête ses yeux sur un homme et se plait à en être regardée, ne doit pas croire qu'on ne s'en aperçoit point; elle est vue, et de ceux-là même dont elle ne se doute pas. Mais admettons qu'elle soit cachée et que personne ne la voie, comment échappera-t-elle à ce témoin d'en-haut pour qui rien n'est caché ? Doit-on dire qu'il ne voit pas parce qu'il voit avec d'autant plus de patience que sa sagesse est plus profonde? Qu'une femme consacrée à Dieu craigne donc de lui déplaire, de peur qu'elle ne veuille criminellement plaire à un homme; en songeant que Dieu voit tout, elle ne voudra pas regarder autrement qu'elle ne doit. C'est ici même que les Livres saints nous recommandent la crainte de Dieu : « Tout regard qui se fixe est en abomination devant le Seigneur (Prov. XXVII, 26, selon les Septante ). » Lors donc que vous êtes ensemble dans une église, et partout ailleurs où se trouvent des hommes, conservez mutuellement votre pureté. Dieu, qui habite en vous, vous défendra encore de cette façon contre vous-mêmes.

11. Si vous remarquez dans quelqu'une de vous cette hardiesse de regard dont je parle, avertissez-la aussitôt, de peur que le mal commencé ne fasse en elle des progrès, mais pour qu'elle s'en corrige au plus tôt. Si, après un premier avertissement, vous voyez qu'elle recommence, même un autre jour, il faut la découvrir comme une blessée et s'occuper de sa guérison : toutefois on en préviendra auparavant une ou deux autres de ses compagnes, afin qu'elle puisse être convaincue par la bouche de deux ou trois témoins (Matth. XVIII, 16 ) et punie avec une sévérité méritée. Ne croyez pas être malveillantes en donnant ces sortes d'avis. Vous seriez coupables, au contraire, en laissant périr par votre silence des sœurs que vous pouvez ramener en avertissant. Si une de vos sœurs avait sur le corps une plaie qu'elle voulût cacher, de peur qu'on n'y portât le fer, ne serait-ce pas une cruauté que vous n'en parlassiez pas, et n'y aurait-il pas une bonté compatissante à en prévenir ? A plus forte raison devez-vous faire connaître une plaie qui peut ravager l'âme tout entière. Mais avant de révéler les commencements du mal à d'autres par lesquelles la sœur puisse être convaincue si elle nie, on doit en informer la supérieure dans le cas où le premier avis serait resté inutile : il peut se faire qu'une correction secrète infligée par la supérieure produise tout l'effet souhaitable, et qu'il ne soit pas nécessaire de la signaler à d'autres. Si la sœur persiste à nier, c'est alors qu'il faut en mettre d'autres en mesure de lui opposer leur témoignage, afin qu'elle puisse être convaincue devant vous toutes, non plus seulement par un seul témoin, mais par deux ou trois. Ainsi convaincue, elle subira la peine que la supérieure ou le supérieur jugeront à propos d'appliquer, pour sa guérison : si elle refuse de s'y soumettre et qu'elle ne prenne pas le parti de sortir du monastère, on l'en chassera. Il n'y a pas cruauté à faire cela, mais commisération : il ne faudrait pas que l'exemple contagieux de l'une de vous en perdît beaucoup d'autres. Ce que je dis des regards qui ne sont pas chastes doit s'appliquer avec soin à toutes les autres fautes qu'on peut découvrir ; on s'y prendra de la même manière pour avertir, convaincre et punir : la haine des vices demeurera inséparable de la charité pour les personnes. Si l'une de vous en est venue au point de recevoir secrètement des lettres ou des présents de quelque homme, et qu'elle l'avoue d'elle-même, qu'on lui pardonne et qu'on prie pour elle. Mais si elle est surprise et convaincue, qu'elle soit sévèrement punie, d'après la sentence de la supérieure ou du supérieur, ou même de l'évêque.

12. Ayez vos habits dans un même lieu, confiés au soin d'une, de deux ou d'autant de personnes qu'il en faudra pour en secouer la poussière et les préserver de la teigne : comme ce qui sert à votre nourriture se tire de la même dépense, ainsi tirez du même vestiaire ce qui sert à vous vêtir. Et si c'est possible, ne vous occupez pas de savoir quel vêtement on vous donne selon les saisons, ni si vous recevez celui que vous avez déposé ou celui qui a été porté par une autre; pourvu toutefois qu'on ne refuse pas à chacune ce dont elle a besoin. Si des discussions et des murmures s'élèvent à cette occasion, et qu'on vienne à se plaindre d'avoir reçu quelque chose de moins bon que ce qu'on avait auparavant et qu'on ne trouve pas juste de n'être pas mieux vêtue que ne l'était telle autre sœur , vous éprouverez tout ce qui manque à votre sainteté intérieure, vous qui vous disputez pour l'habillement du corps. Si cependant, par tolérance pour votre infirmité, on vous laisse reprendre les vêtements que vous aviez déposés, mettez tout ce que vous quittez dans le même lieu que vos autres sœurs et sous la garde des mêmes personnes. Que nulle d'entre vous ne travaille à son profit particulier, soit pour se vêtir ou se coucher, soit pour les ceintures, les couvertures ou les voiles; mais que tous ces ouvrages se fassent en commun, avec plus de soin et d'empressement que si vous travailliez uniquement pour vous-mêmes. On a dit de la charité qu'elle ne cherche pas ses propres intérêts (II Cor. XIII, 5 ), parce qu'elle fait passer les intérêts de tous avant les siens propres et non pas les siens propres avant ceux de tous. Vous reconnaîtrez avoir fait d'autant plus de progrès dans la charité que vous vous occuperez plus volontiers de la chose commune que de ce qui vous est propre : la charité qui ne passe pas doit s'élever au-dessus de toutes les choses dont on use par une nécessité passagère. Il suit de là que les sœurs ne doivent pas recevoir secrètement ce qui leur est envoyé par leurs parents ou par leurs amis, soit vêtements, soit toute autre chose nécessaire à la vie : il fait le mettre à la disposition de la supérieure pour le bien commun, afin qu'elle le donne à a première qui en aura besoin. Si l'une de vous cache ce qu'on lui a apporté, qu'elle soit condamnée comme pour un vol.

13. Que vos habits soient lavés comme l'aura décidé la supérieure, soit par vous, soit par les foulons : il ne faut pas qu'une propreté trop recherchée dans vos vêtements puisse causer des souillures à votre âme. Quant au bain pour laver le corps, l'usage ne doit pas en être fréquent : on ne vous le permettra qu'au temps accoutumé , c'est-à-dire une fois par mois. Si un bain est prescrit pour cause de maladie, qu'il ne soit pas différé; que cela se fasse sans murmure par l'ordre du médecin : si la malade ne le veut pas, la supérieure l'obligera à faire ce qu'il faut pour sa santé. Si la malade le demande et que cela ne lui soit pas bon, on ne se rendra pas à son désir : parfois quoique cela nuise, on croit que ce qui plaît fait du bien. Si la servante de Dieu éprouve une douleur cachée, on doit croire sans hésitation ce qu'elle en dit; mais pourtant si on n'est pas sûr du bon effet d'un remède qu'elle souhaite et qui est agréable, on doit consulter le médecin. Que les sœurs n'aillent pas aux bains, ou partout ailleurs, à moins de trois , celle qui a besoin de sortir n'ira pas avec qui elle voudra, mais avec celles que la supérieure aura désignées. Une sœur doit être chargée du soin des convalescentes ou de celles qui , même sans fièvre , se trouveraient dans un état de faiblesse : elle tirera elle-même de la dépense ce dont chacune des malades aura besoin. Les sœurs chargées, soit de la dépense, soit des vêtements, soit des livres, serviront leurs compagnes sans murmure. Qu'il y ait tous les jours une heure marquée pour demander des livres ; qu'on n'en donne qu'à cette heure-là. Que des habits et des chaussures soient remis sans retard aux religieuses qui en ont besoin par celles qui en ont la garde.

14. N'ayez pas de contestations ou terminez-les promptement, de peur que la colère ne devienne de la haine et d'un fétu ne fasse une poutre et ne rende l'âme homicide. Ce n'est pas seulement aux hommes que s'adresse cette parole de l'Évangile : « Celui qui hait son frère est homicide » (I Jean, III, 5) ; cette prescription regarde la femme autant que l'homme que Dieu créa le premier. Quiconque parmi vous en aura offensé une autre par injure, médisance, ou même par un injuste reproche, n'oubliera pas de lui donner satisfaction au plus vite, et celle qui a été blessée pardonnera sans discussion. Si deux sœurs se sont réciproquement offensées, elles se pardonneront réciproquement à cause de vos prières, car plus vos prières sont fréquentes, plus elles doivent être saintes. Celle qui est enclin à la colère et qui se hâte toujours de demander pardon à la personne qu'elle reconnaît avoir blessée, vaut mieux que celle qui s'emporte plus rarement et ne se presse pas de demander pardon. Celle qui ne veut pas pardonner à sa sœur ne doit pas espérer recevoir l'effet de l'oraison; mais celle qui ne veut jamais demander pardon ou qui ne le demande pas du fond du cœur, n'a plus de raison de vivre dans un monastère, quoiqu'on ne l'en chasse pas. Abstenez-vous donc de paroles dures; s'il s'en échappe de votre bouche, ne craignez pas de tirer le remède de la même bouche qui a fait la blessure. Quand la nécessité de la discipline vous force d'adresser des paroles dures à des inférieures qu'il vous faut reprendre, si vous sentez que vous ayez passé la mesure à leur égard, on n'exige pas de vous que vous leur demandiez pardon, de peur qu'un excès d'humilité ne compromette l'autorité nécessaire au gouvernement de la communauté : mais cependant vous en demanderez pardon à Celui qui est le maître de vous toutes, à ce Dieu qui connaît l'étendue de votre amour pour celles que vous reprenez avec peut-être trop de sévérité. C'est une affection toute spirituelle et non point charnelle qui doit régner entre vous : il y a des badinages et des jeux de femme à femme que la pudeur ne permet point; les veuves et les vierges du Christ établies dans une sainte profession doivent se les interdire; car les familiarités de ce genre doivent être évitées même par les femmes mariées et les jeunes filles appelées au mariage.

15. Qu'on obéisse à la supérieure comme à une mère, en l'honorant comme elle doit l'être, pour ne pas offenser Dieu dans sa personne. Qu'on obéisse plus encore au prêtre qui a soin de vous toutes. Il appartient surtout à la supérieure de veiller à la pratique de toutes ces choses, de ne rien laisser enfreindre, mais de corriger et de redresser : pour ce qui serait au-dessus de ses moyens et de ses forces, qu'elle en réfère au prêtre qui s'occupe de vous. Qu'elle ne se croie pas heureuse par le pouvoir qu'elle exerce, mais par la charité qui la met au service de vous toutes. Qu'elle soit placée au-dessus de vous aux yeux des hommes par sa dignité, mais sous vos pieds aux yeux de Dieu par la crainte de lui déplaire. Qu'elle soit envers toutes un modèle de bonnes œuvres (Tite, II, 7) ; qu'elle corrige celles qui sont remuantes, qu'elle ranime celles qui manquent de courage, qu'elle supporte les faibles et soit patiente envers toutes (I Thess. V, 14), qu'elle accepte volontiers la règle et ne l'impose qu'en tremblant; qu'elle désire être aimée de vous bien plus que redoutée, quoique les deux soient nécessaires; qu'elle pense toujours qu'elle aura un compte à rendre à Dieu pour vous. C'est pourquoi votre prompte obéissance ne doit pas être seulement de la compassion pour vous-mêmes, mais pour elle aussi; car parmi vous la place la plus haute est la plus dangereuse.

16. Que le Seigneur vous donne d'observer toutes ces choses avec amour, comme des filles éprises de la beauté spirituelle, exhalant la bonne odeur du Christ par une sainte vie, non point esclaves sous la loi, mais libres sous la grâce ! Pour que vous puissiez vous regarder dans ce petit écrit comme dans un miroir, et de peur qu'il n'y ait des négligences par oubli, qu'on vous le lise une fois par semaine : là où vous vous trouverez observatrices exactes de ce qui est écrit, rendez grâces au Seigneur dispensateur de tout bien; mais là où l'une de vous connaîtra qu'elle a manqué en quelque chose, qu'elle s'afflige du passé et se tienne sur ses gardes pour l'avenir; qu'elle prie pour que Dieu lui pardonne et ne la laisse pas succomber à la tentation.

 


 

source: http://jesusmarie.free.fr/augustin_lettres_211_a_231.html

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