Les chanoines réguliers

et la tradition de la Respublica Christiana

 

sceau du Grand Maitre des Templiers Pierre de Montaigu; PAULI, Codice diplomatico del sacro ordine Gerosolemitano; Tome 1

 

« Octave, en l'an XXXV de son règne, monta au Capitole et demanda avec instance aux dieux quel serait après lui le gouverneur de la République, et qu'il entendit une voix lui dire: «C'est un enfant céleste, fils du Dieu vivant, qui doit bientôt naître d'une vierge restée sans tache, Dieu et homme sans macule. » Ayant appris cela, il éleva un autel en ce lieu et y plaça cette inscription: « Autel du fils de Dieu vivant. » » Jacques de Voragine; La Légende Dorée; la Nativité de notre Seigneur Jésus-Christ

 

le mouvement canonial des chanoines réguliers: l'autre versant de la spiritualité templière

 

La spiritualité des Pauvres Chevaliers du Christ du Temple de Salomon s'est bâtie sur deux institutions de l'église grégorienne: d'une part, celle du monachisme cistercien de la Stricte Observance bénédictine dont les Templiers se sont inspirés pour élaborer leur règle de vie; d'autre part, celle du mouvement canonial des chanoines réguliers suivant la règle de saint Augustin qui va présider aux pratiques liturgiques de nos moines soldats.

 

Au début du XIIème siècle, les usages de la Stricte Observance bénédictine établis par Étienne Harding, troisième abbé de Cîteaux (1099-1133) ou ceux d'une abbaye comme celle des chanoines réguliers de Saint Victor de Paris, crée en 1108 par Guillaume de Champeaux (1070-1121), sont tous les deux à l'avant-garde de la réflexion menée par l'église grégorienne pour réformer une civilisation carolingienne en pleine décadence féodale.

 

Les Pères du concile réunis à Troyes en Champagne en 1129 offriront à la nouvelle chevalerie de Terre sainte et à son maître Hugues de Payns ce que l'église grégorienne avait de plus abouti pour fortifier l'âme et l'esprit de ces nouveaux chevaliers.

 

L'aura et l'influence sur le monde médiéval comme sur l'ordre des Templiers d'une personnalité comme saint Bernard , abbé cistercien de la Claire Vallée, ont participé à éclipser le rôle joué par les chanoines réguliers sur la formation spirituelle de cette chevalerie.

 

Il est vrai que l'étude du mouvement canonial des chanoines réguliers selon la règle de Saint Augustin a longtemps été négligée par les historiens des religions; peut-être à cause de leur interprétation radicale de la théologie augustinienne car les clercs réguliers de saint Augustin ont été des adeptes de la République chrétienne, qui au jour d'aujourd'hui pourraient très bien s'apparenter à la politique menée par une république islamique telle qu'elle est en place actuellement en Iran.

 

La République selon saint Augustin

 

Voilà ce que nous dit saint Augustin à propos de la République dans son livre XIX de la Cité de Dieu:

«Ne disent-ils pas eux-même que le droit, c'est ce qui dérive de la source de la justice? Et ne rejettent-ils pas comme une erreur cette opinion qui place le droit dans l'intérêt du plus fort? Ainsi donc, où il n'y a pas véritable justice, il ne peut y avoir association d'hommes sous un droit consenti; et partant il n'y a point peuple suivant la définition de Scipion ou de Cicéron; et s'il n'y a point peuple, il n'y a pas non plus « chose » du peuple, mais une multitude quelconque qui ne mérite pas le nom de peuple. Par conséquent, si la république est la chose du peuple, et s'il n'y a point peuple quand il n'y pas association sous un droit consenti (or il n'y pas droit où il n'y a pas justice), il suit indubitablement qu'où il n'y a pas justice, il n'y a pas république. »

 

Les clercs de saint Augustin rêvaient d'une République universelle gouvernée par un roi-philosophe. Suivant l'enseignement de leur maître, ce roi-philosophe prenait la figure d'un personnage de l'Ancien Testament: le prêtre-roi de Salem, Melchisédech. Dans l'Ancien Testament, il nous est révélé:

« C'est Melkisédeq, roi de Salem, fournit du pain et du vin. Il était prêtre de Dieu, le Très-Haut, et il bénit Abram en disant:

« Béni soit Abram par le Dieu

Très-Haut

qui crée ciel et terre!

Béni soit le Dieu Très-Haut

qui a livré tes adversaires entre

tes mains! »

Abram lui donna la dîme de tout. »( Genèse 14, 18-20)

 

Abram, ou Abraham, est le père des trois religions monothéistes: juive, chrétienne et musulmane. En versant la dîme à Melkisédeq, prêtre du Très-Haut, Abraham montre sa soumission au roi de Salem et marque ainsi le caractère universelle du sacerdoce de Melkisédeq.

 

Abraham rencontre Melchisédech;   Mosaique Basilique de San Marco; 13ème siècle

 

« Melki-Tsedeq » signifie « roi de justice » et saint Augustin insiste bien sur ce point: où il n'y a pas justice, il n'y a pas République. Melchisédech est bien le prêtre-roi de la République universelle. Son sacerdoce sera associé chez saint Augustin au sacerdoce du Christ qui à travers l'offrande eucharistique du pain et du vin, se réalise « selon l'ordre de Melchisédech ».

« (…) le Verbe coéternel au Père, s'est bâti dans le sein d'une Vierge une maison vivante, un corps humain; qu'il y a joint l'Église, comme les membres à la tête; qu'il a offert en sacrifice l'immolation des martyrs; qu'il a préparé le banquet du pain et du vin, symboles où apparaît aussi le sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech; qu'il a convié les insensés et les pauvres de raison; car, dit l'apôtre, « Dieu a choisi la faiblesse selon le monde pour confondre la force (I Co 1,27) (in: Saint Augustin; La Cité de Dieu; livre XVII)

 

Quant au Christ, saint Augustin  dit:

« (…) le Christ est le fils des hommes libres, c'est-à-dire des saints patriarches, citoyens de la cité libre, dont il est issu selon la chair. » ( ibid)

 

la Cité de Dieu, de la chute de Rome à la prise de Jérusalem

 

Le mouvement canonial des chanoines réguliers selon la Règle de saint Augustin est apparu vers la fin du XIème siècle. Cependant, il pouvait s'appuyer sur une longue tradition républicaine au sein de l'Eglise romaine , catholique et apostolique.

 

Cette tradition remonte au grand théologien de l'Église romaine. Après le sac de Rome, le 24 août 410, par le roi wisigoth Alaric, un chrétien arien, saint Augustin écrit la Cité de Dieu dédiée à son ami Marcellin, haut fonctionnaire impérial, chrétien de confession et exécuté en 413. La Cité de Dieu a été écrite pour répondre au grand trouble suscité dans le peuple romain par le sac de Rome et qui se retournait contre les chrétiens, accusés d'être les responsables de la déchéance de la civilisation romaine. Saint Augustin cherche à démontrer dans cette œuvre que le projet de l'Église romaine, catholique et apostolique est la restauration à la fin des temps, dans la Jérusalem Céleste, de la République selon les valeurs chrétiennes, et qu'en définitive romains et chrétiens ont le même objectif.

 

La seule nuance, mais elle est de taille, est que les chanoines réguliers ne se contenteront plus d'attendre la fin des temps mais estiment l'avoir réalisée avec la prise de Jérusalem par les latins en 1099. D'ailleurs, sur les cinq communautés religieuses latines présentes à Jérusalem après la Première Croisade, quatre vont devenir des communautés de chanoines réguliers selon le Règle de saint Augustin. Au Saint Sépulcre, au Temple, au Mont Sion et sur le Mont des Oliviers. Seul, au pied du Temple, dans la vallée de Josaphat, un monastère sera dévolu aux moines bénédictins.

 

Les chanoines réguliers et l'enseignement des chevaliers du Temple au Templum Domini

 

Il est à noter que sur l'esplanade du Temple, les chanoines réguliers servaient le Dôme du Rocher ou Temple du Seigneur (Templum domini) qui sera pris comme sceau par les grands maîtres de l'ordre du Temple comme Evrard des Barres (1149-1152), Bertrand de Blanquefort (1156-1169), ou plus tard Pierre de Montaigu (1219-1232) et Renaud de Vichier (1250-1256).

 

le Dôme du rocher, anciennement Temple du seigneur ou Templum domini servi par les chanoines régulierssceau de Renaud de Vichier représentant le Templum Domini

 

Ce fait reste  curieux puisque les templiers étaient établis  sur le site de la mosquée Al Aqsa située au sud de l'esplanade.Le Templum Domini était propriété des chanoines réguliers et leur couvent était située au nord de l'esplanade. En prenant comme sceau le Templum Domini, on peut penser que les Templiers s'appropriaient un lieu qui ne leur appartenait pas, ou plutôt qu'ils habitaient un lieu dominé par d'autres - ce qui ferait écho à la Règle des Templiers qui stipule que les chevaliers doivent « entendre les matines et l'office divin en entier, selon les observances canoniales et les us des maîtres réguliers de la Sainte Cité de Jérusalem. ».

 

.au premier plan, la mosquée Al-Aqsa,siège de l'ordre du Temple, au second plan, le dôme du Rocher servi par les chanoines réguliers; source photo: blog el-milia

 

Mais certaines règles du Temple sont encore plus explicites, et particulièrement l'une d'entre elles. Il s'agit de la règle retrouvée dans un  beau manuscrit du XIIème siècle à la bibliothèque municipale de Nîmes sous la cote 37. Nous donnons la présentation qu'en a fait Laurent Dailliez dans Règle et Statuts de l'Ordre du Temple, éditions Dervy (1996), page 34:

 

 

Le recueil, conservé à la Bibliothèque municipale de Nîmes sous la cote Manuscrit 37 (13733), comprend les documents suivants:

 

  1. Saint Augustin, Liber questionum, précédé d'un fragment des Retractationes.

  2. Deux questions, dont voici les titres et les premiers mots: « I. De magis Pharaonis. Non oportet moveri cum magicis artibus... » - « II. De centum LIII piscibus. Potest etiam si numerus iste... »

  3. Saint Augustin, Liber de questionibus Evangeliorum, précédé d'un fragment des Retractationes. Les trois documents augustiniens vont du fol. 1 au fol 156r°.

  4. Jean Michaelensis, Regula commiltonum Christi. Commencement: « Vos quidem propriis voluntatibus abrenuntiantes... » - Fin: « et proposito magistri erunt. » - Le texte de la règle est précédé de la seconde partie du préambule (prologue) relatif au Concile de Troyes – fol 156v° à 159 pour le préambule, fol. 159 à 169 pour la règle proprement dite.

  5. « Incipit prologus Hugonis de sancot Victore. - Chritsti militibus in Templi Jehrosolimitano religiosa conversatione studium sue devotionis sanctificantibus, Hugo peccator pugnare et vincere et coronari in Christo Jesu, domino nostro. - Quanto magis, fratres Carissimi, diabolus ad nostram decetionem... » - Fin: « Deus pacis erit vobiscum. » Fol. 169V° à 172v°

  6. Prologus exortacionis abbatis Clarevallis Bernardi ad milites Christi. - Ugoni militi Templi Christi, magistro militie Christi, Bernardus, Clarevallensis solo nomine abbas, bonum certamen certare. Semel et secundo et tercio... » - Fin: »et digitos nostros ad bellum. » Fol. 172V° à 183.

  7. Notes sur les degrés d'affinité avec Tableau des alliances. Commencement: « Hec consanguinitatis (sic) dum se paulatim... » Fol. 184 à 186.

 

Les textes sont écrits sur un vélin de 186 feuillets de 290 mm de hauteur sur 190. La calligraphie du XII° siècle est soignée, de plusieurs mains, rehaussée par des majuscules en couleur. Auguste Molinier estime qu'elle est peut-être méridionale.

 

On pourra noter, plus loin, dans le recueil de Bruges, que les deux textes « templiers » sont accompagnés de documents relatifs à Saint Bernard ou à l'Ordre de Cîteaux, alors que dans celui de Nîmes, les trois textes « templiers » sont précédés de documents augustiniens: saint Augustin, Cîteaux, les deux sources de la règle religieuse et de la spiritualité du Temple.

 

L'importance et la qualité du manuscrit de Nîmes indique aussi qu'il ne peut provenir d'une petite ou d'une moyenne commanderie. Il a été écrit pour un chef-lieu de l'Ordre, une maison « chevetaine », mais nos certitudes s'arrêtent là.

 

Ces textes de haut niveau sont liés au milieu intellectuel de la réforme grégorienne et très certainement au milieu des chanoines réguliers. D'ailleurs ce manuscrit contient une lettre attribuée  au chanoine régulier Hugues de Saint-Victor et adressée aux Chevaliers du Christ dans le Temple de Jérusalem.

 

Dans ce manuscrit, environ 150 folios recto-verso sont consacrés à saint Augustin alors qu'une trentaine de folios seulement sont consacrés aux Templiers comprenant la règle intitulée « la Règle des Pauvres Compagnons de Combat de la Ville Sainte ». Dans cette règle, les chanoines réguliers sont qualifiés de 'docteurs', ce qui dans le latin médiéval est un titre ecclésial conféré à celui qui devait instruire le peuple. Il est manifeste que dans cette règle les chanoines se présentent comme des prêtres mais aussi comme des enseignants. En ce qui concerne les Templiers présents à Jérusalem, cet enseignement a probablement été délivré dans le Templum Domini.

 

Il n'est d'ailleurs pas impossible que le manuscrit de la bibliothèque de Nîmes provienne des archives de la communauté de chanoines réguliers qui était établie dans le Templum Domini, car comme l'indique Laurent Dailliez ce manuscrit a été écrit pour un chef-lieu de l'ordre et l'esplanade du Temple où sont installés les Templiers à Jérusalem est la maison-chevetaine  de l'ordre.

 

Quant à la lettre d'Hugues de Saint-Victor, elle pourrait se justifier si les chanoines établis au Templum domini observaient  les usages de l'abbaye parisienne de Saint-Victor.  Ce serait alors dans ce lieu hautement symbolique du Temple du Seigneur que le prévôt des chanoines réguliers aurait fait la lecture de la lettre, ou plutôt du sermon, qu' Hugues de Saint-Victor adressa aux Templiers.

 

Il reste difficile d'établir si les chanoines réguliers du Templum domini suivaient l'ordo de Saint-Victor, mais le Liber Ordinis des chanoines réguliers de Saint-Victor de Paris s'inspire largement du coutumier monastique de Cîteaux ce qui crée une affinité indéniable avec les moines-soldats de Jérusalem dont la règle de vie s'inspire des usages cisterciens.

 

sceau d'Evrard des Barres

sceau utilisé par Maître Evrard des Barres "Evrerardus, minister humilis milicie templi" au bas d'une charte relative à une donation faite par ses neveux Guillaume et Baudoin des Barres à l'abbaye de Saint-Victor à Paris. Vers 1149

L'attribution à Hugues de Saint-Victor de la lettre adressée aux Templiers a été remise en question par plusieurs historiens s'appuyant sur un répertoire de ses œuvres, dont il a été remarqué par Clément Sclafert,  qu'au moins deux œuvres  d'Hugues de Saint-Victor n'y figuraient pas. Si ce répertoire peut être pris en défaut, il paraît hardi d'exclure toute œuvre n'en faisant pas partie et particulièrement cette lettre qui, ayant pour but de sermonner les Templiers, était un document à usage interne n'étant pas destiné à une large diffusion.

 

De plus, la lettre est signée d'Hugues 'Peccator', c'est-à-dire Hugues le Pécheur, or la  tradition pénitentielle de l'abbaye parisienne était célèbre au Moyen-Age.  Hugues de Saint-Victor, au nom de son abbaye, s'est totalement impliqué dans la controverse théologique à propos du sacrement de pénitence.  Dans son oeuvre De Sacramentis, Hugues défend le principe de la confession et de l'absolution par le prêtre comme condition indispensable à une pleine rémission des péchés.  pour un lecteur averti, Hugues 'le Pécheur' était une signature sans mystère.

 

Enfin, comment imaginer que face à la crise spirituelle traversée par les premiers Templiers concernant leur vocation, l'Eglise n'aurait pas cherché l'autorité d'un clerc - ou mieux encore d'un théologien - pour répondre à leurs doutes.  En attribuant cette lettre à Hugues de Payns, premier maître des Templiers, nous pensons que nos historiens font un contresens lié à une méconnaissance de la mentalité religieuse.  Hugues de Payns était un laïc dont l'opinion dans le domaine spirituel n'avait aucun poids1.

 

La réalisation de la Respublica Christiana, des premiers états pontificaux à la réforme grégorienne

 

Les chanoines réguliers ne seront pas les premiers à vouloir réaliser la Respublica Christiana dans l'histoire de l'Église catholique. Le 6 janvier 754, le pape Étienne II (752-757) se rend à Ponthion auprès du roi des Francs Pépin le Bref en le suppliant «  de défendre la cause de saint Pierre et de la République romaine ». Dans la villa de Quierzy-sur-Oise, Étienne II et Pépin le Bref négocient la création des états pontificaux avec la donation de l'exarchat de Ravenne, de la Corse, la Sardaigne et la Sicile. En contrepartie, le pape reconnaît la nouvelle dynastie carolingienne et approuve la relégation au couvent qui a été imposée au roi mérovingien Childeric III. Cette donation sera confirmée en 774 à Rome par Charlemagne.

 

la donation de Pépin le Bref au Pape Etienne II (754), source: wikpedia

 

Entre 781 et 817, les terres du bienheureux saint Pierre s'agrandiront avec le duché de Rome et de Pérouse et seront gérées comme une véritable République dotée des atours de la puissance ecclésiastique, la Sainte Église de Dieu de la République Romaine, « Sanctae Dei Ecclesiae Respublicae Romanorum ». La naissance de la république de saint Pierre et la reconnaissance de la souveraineté temporelle du Pape seront l'objet d'une falsification célèbre: la fameuse donation de Constantin qui est censé offrir à l'évêque de Rome l'Imperium sur tout l'Occident latin; ce qui démontre que déjà à cette époque reculée les papes ne se contentaient pas d'établir la République dans leurs états concédés par les rois francs mais qu'ils avaient l'ambition d'étendre cette république à toute la chrétienté. Cependant, avant le milieu du IXème siècle le Constitutum Constantini, ou fausse donation de Constantin ne fera guère de bruit; à peine aurait-elle été évoquée par les papes Nicolas Ier (858-867), Hadrien II (867-872) et Jean VIII (872-882).

 

Mais quand en 1053, le cardinal Humbert de Silva Candida (1015-1061) va exhumer ce texte des archives pontificales , il ouvrira un boulevard à la réforme grégorienne et aux chanoines réguliers. Les papes réformateurs de l'église grégorienne, qui revendiquent la primauté de l'Église romaine sur le droit carolingien vont user et abuser de ce document, allant jusqu'à intégrer la donation de Constantin dans le droit canonique avec son insertion dans le Décret de Gratien au milieu du XIIème siècle.

 

Au XIIème siècle, le sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech des clercs réguliers de cette nouvelle république universelle fondée à Jérusalem semblait avoir des assises juridiques bien établies, qui reposaient finalement plus sur une solide tradition de l'Église catholique que sur des actes réellement authentiques.

 

Les chanoines réguliers, bien implantés dans les centres urbains, ont toujours eu le souci de s'adresser au plus démunis de leurs contemporains, n'hésitant pas à ouvrir des écoles pour les plus humbles -permettant ainsi aux gens des classes populaires d'accéder aux hautes charges ecclésiales, ce qui était impensable dans une société médiévale aux mains de la noblesse féodale. La vie en commun permettait aussi de subvenir aux besoins de tous et les chanoines réguliers auront un caractère beaucoup plus populaire que leurs collègues les moines cisterciens qui repliés, sur eux-même, coupés du monde, intègreront le plus souvent comme moine blanc ou moine de chœur une noblesse déjà éduquée.  En cela, les cisterciens seront plus proches des Templiers qui recrutent leur élite dans la petite et la moyenne noblesse.

 

Les chanoines réguliers vont chercher à former l'esprit des Templiers avec plus ou moins de succès comme le laisserait transparaître la lettre de Hugues de Saint-Victor. Les moines-soldats n'ont pas tous adhéré au projet républicain des chanoines, loin s'en faut et  les Templiers chercheront très vite à s'affranchir des chanoines et de leur patron, le patriarche de Jérusalem, ce qui sera réalisé le 29 mars 1139 par la bulle Omne Datum Optimum fulminée par le pape Innocent II (1130-1143) . Néanmoins, les chevaliers du Temple garderont un lien privilègié avec la communauté du Templum Domini, ce qui leur permettra de recevoir la tradition symbolique issue de l'initiation sacerdotale selon l'ordre de Melchisédech portée par les fers-de-lance de l'église grégorienne.

 

par Jean-Pierre SCHMIT

1. Depuis l'écriture de cet article en juin 2010, il semble que les choses aient évolué puisque Dominique Poirel, directeur de recherches à l'Institut de Recherche et de l'Histoire des Textes, spécialiste de l'école de Saint-Victor de Paris, vient de réattribuer à Hugues de Saint-Victor le sermon au chevalier du Christ. voir: Poirel, Dominique, "Les Templiers, le diable et le chanoine: le Sermo ad milites Templi réattribué à Hugues de Saint-Victor" dans ELFASSI,J. et alii (éd), Amicorum societas. Mélanges offerts à François Dolbeau pour son 65° anniversaire, Florence, Sismal, 2012

 

 

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