Sources

extrait de la lettre du Grand Maître Gérard de Ridefort, prisonnier du sultan Saladin

 

 

 

Cette lettre est adressée au Templier Jean de Terric, Commandeur de la Terre du royaume de Jérusalem, et à tous les dignitaires du Temple en Occident. Elle a été écrite peu après la prise du port de Saint-Jean-d'Acre par les Sarrazins, le 10 juillet 1187. A ce moment-là, suite à la défaite de Hattin, le 4 juillet 1187, le roi de Jérusalem et le Grand-Maître des Templiers sont prisonniers de Saladin. On suppose que cette lettre a été transmise secrètement à Jean de Terric, Commandeur de la Terre qui était à Jérusalem, par le seigneur Balian II d'Ibelin - qui après la bataille de Hattin, avait bénéficié d'un sauf-conduit, généreusement accordé par le sultan Saladin pour que le baron franc puisse évacuer sa famille de Jérusalem.

 

 

"Frère Terric, Grand-Maître de la pauvre Maison du Temple, presque anéantie, à tous les Précepteurs, à tous nos Frères et Sujets, Salut en celui qui seul mérite nos soupirs, à qui le soleil et la lune obéissent: la main du Seigneur s’est appesantie sur nous, nos très-chers Frères, et les maux dont le Ciel justement irrité nous afflige, sont à un point, que nous n’avons ni termes assez forts pour les exprimer, ni larmes assez cuisantes pour les déplorer. Un corps formidable de Turcomans, campé devant Tibériade, en avait déjà pris la ville, et allait s’emparer du château, lorsque nous étant mis en marche pour arrêter les progrès de Saladin, il sortit de son camp, nous prévint, et nous engagea dans des détroits où l’Armée chrétienne a été entièrement défaite. nous avons perdu, à cette malheureuse affaire, deux cent trente de nos Chevaliers, qui ont eu la tête tranchée, sans compter ceux qui ont péri dans une autre action, au nombre de soixante (bataille de la Fontaine-Cresson, 1er mai 1187). A peine le Roi, quelques Barons et moi, avons-nous pu échapper à la fureur du Soldat turc. Toujours plus altéré de sang chrétien, il vient de prendre Acre, il bat actuellement Tyr, en sorte qu’il ne nous reste plus que Jérusalem, Baruth, avec deux ou trois autres places sans garnison. ils sont en si grand nombre, que depuis Tyr jusqu’à Jérusalem et Gaza, ils ont comme inondé et couvert la surface du pays. C’en est fait, tout est perdu, si le ciel ne nous aide, et si vous tardez à nous secourir, il est impossible de nous maintenir ici plus longtemps. (...)"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Saint Bernard

lettre à Mélisende, reine de Jérusalem

 

L’an 1154

A sa très-chère fille en Jésus-Christ, Mélisende, reine de Jérusalem, Bernard, abbé de Clairvaux, grâces de miséricorde et de salut de la part de Dieu

1. Après avoir été habitué à recevoir souvent de vos lettres, je m'étonne que vous me négligiez tant à présent, car je n'ai pas oublié toutes les bontés que vous avez eues pour moi autrefois en bien des circonstances. Vous dirai-je qu'il m'est revenu je ne sais quels bruits fâcheux pour votre réputation, auxquels je n'ai pu croire, il est vrai; mais, fondés ou non, ils ne m'en ont pas moins peiné. Heureusement mon bon oncle André [de Montbard, sénéchal de l'ordre des Templiers], dont la parole est un oracle pour moi, me dit de vous, dans une de ses lettres, des choses bien meilleures que celles que propage la rumeur publique ; il me parle de votre conduite pacifique et modérée et me fait connaître le soin avec lequel vous vous entourez des conseils de gens habiles pour vous conduire et gouverner l’État. Il me dit que vous avez beaucoup d'estime et d'affection pour les chevaliers du Temple, que vous pourvoyez avec toute la prudence et la sagesse que Dieu nous a départies, au salut de votre royaume qu’assiègent une foule de dangers, et que vous recourez aux conseils et aux mesures les plus propres à vous faire atteindre ce but. C'est assurément ainsi que doit se conduire une femme forte, une humble veuve et une illustre reine; ne pensez pas que ce dernier titre ait rien à perdre à votre viduité volontaire ; au contraire, je crois que l'état de veuve ne vous fait pas moins d'honneur, surtout aux yeux des chrétiens, que votre dignité de reine. Vous tenez l'une de votre naissance, et vous n'êtes veuve que parce que vous avez la vertu de demeurer en cet état; la royauté est un héritage qui vous vient de vos aïeux, la viduité est un don du ciel: votre destinée vous a fait naître pour le trône, mais votre goût seul vous fait rester veuve. C'est pour vous un double honneur que ces deux titres, l'un selon le monde et l'autre selon la grâce; mais tous les deux vous viennent de Dieu. Si vous voulez savoir en quel honneur vous devez tenir la viduité, rappelez-vous les paroles de l'Apôtre qui disait: « Honorez les veuves, mais les véritables veuves (I Tim., V, 3). »

2. Le même Apôtre vous donne encore en bien des endroits le conseil salutaire de faire le bien « non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes (II Cor., VIII, 21) : » devant Dieu en qualité de veuve, et devant les hommes à titre de reine. Ne perdez jamais de vue cette pensée, c'est que les actions d'une reine, bonnes on mauvaises, ne peuvent demeurer cachées, car les rois sont placés sur le chandelier précisément pour être exposés aux regards des hommes. Quant aux veuves, rappelez-vous que, déchargées du soin de plaire à leurs maris, elles ne doivent plus songer qu'à se rendre agréables à Dieu. Quel bonheur pour vous si vous abritez votre conscience à l'ombre du Sauveur, si vous en faites le rempart avancé de votre honneur et de votre réputation ! quel bonheur, dis-je, pour vous, de vous abandonner tout entière à la conduite de Dieu comme une veuve qui n'a point d'autre consolateur ! Pour bien régner sur les autres, vous savez qu'il est nécessaire que Dieu règne entièrement sur vous. La reine de Saba vint entendre la sagesse (Matth., XII, 42) de Salomon, elle voulait aller à l'école d'un roi pour apprendre à gouverner ses propres sujets; or vous avez un maître plus grand que Salomon, puisque vous avez Jésus, et Jésus crucifié. Abandonnez-vous à sa conduite, apprenez à régner à son école: en qualité de veuve, retenez bien qu'il est doux et humble de cœur (Matth., XI. 29), et comme reine, songez qu'il jugera les pauvres en toute justice et se déclarera le vengeur des humbles qu'on opprime sur la terre (Isaï., XI, 4.). Ne séparez donc jamais dans votre esprit votre double titre de reine et de veuve, car si vous me permettez de vous dire ici toute ma pensée, vous ne sauriez faire une bonne reine si vous n'êtes une sainte veuve. Voulez-vous savoir à quelle marque on reconnaît la veuve chrétienne ? écoutez, c'est l'Apôtre qui nous l'apprend quand il nous dit: « Elle élève bien ses enfants, exerce l'hospitalité, lave les pieds des saints, console les affligés et fait toutes sortes de bonnes couvres (I Tim., V,10). » Estimez-vous bienheureuse si vous réunissez en vous tous ces traits de la véritable veuve, car vous ne pouvez manquer d'être bénie du Seigneur. Que le Dieu de Sion vous bénisse, Fille illustre dans le Seigneur et digne de tous mes respects! Vous voyez que je renouvelle le premier notre ancien commerce de lettres; j'espère bien que vous daignerez le continuer; vous avez maintenant un motif de m'écrire, vous n'auriez donc aucun prétexte à mettre en avant si désormais vous ne répondiez pas à mes avances par une fréquente et douce correspondance.

lettre CCLXXXIX, à la reine de Jérusalem

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome01/lettres/254-301/lettre289.htm#_Toc53399553

 

Saint Bernard

lettre de recommandation des chevaliers du Temple à Guillaume, Patriarche de Jérusalem

reproduction en 1871 de la fresque de la chapelle templière de Cressac par Eugène Sadoux

L’an 1135

Après avoir reçu tant de lettres de Votre Grandeur patriarcale, je passerais pour un ingrat si je ne vous répondais pas. Mais en vous rendant le salut que vous m'avez donné, ai-je fait tout ce que je dois? Vous m'avez prévenu par vos aimables procédés, vous avez daigné m'écrire le premier d'au-delà des mers, et me donner ainsi la preuve, de votre humilité autant que de votre amitié. Comment pourrai-je ni acquitter à votre égard ? Je ne sais absolument que faire pour vous payer convenablement de retour, surtout maintenant que vous m'avez donné une partie du plus grand trésor du monde en m'envoyant un fragment de la vraie croix de Notre-Seigneur. Mais quoi! me dispenserai-je de répondre à ces avances du mieux que je le puis, si je ne peux le faire comme je le dois? Je vous montrerai du moins les sentiments et les dispositions de mon cœur en répondant à vos lettres ; c'est la seule chose que je puisse faire, séparé de vous comme je le suis par un tel espace de terres et de mers, heureux si je trouve jamais une occasion de vous prouver que ce n'est pas seulement en paroles et sur le papier que je vous aime, mais effectivement et en réalité. Je vous prie de vous montrer favorable aux chevaliers du Temple, et d'ouvrir les entrailles de votre immense charité à ces intrépides défenseurs de l'Église. Vous ferez une œuvre aussi agréable à Dieu que goûtée des hommes en protégeant ces guerriers courageux qui exposent leur vie pour le salut de leurs frères: Pour ce qui est du rendez-vous que vous me demandez le frère André a vous fera connaître mes intentions.

lettre CLXXV au Patriarche de Jérusalem

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome01/lettres/158-206/lettre170.htm#_Toc53140601

 

Saint Bernard

lettre à son oncle André de Montbard, chevalier du Temple

 

l. J'étais malade au lit quand on me remit votre dernière lettre; je ne saurais vous dire avec quel empressement je la reçus, avec quel bonheur je la lus et relus; mais combien plus aurais-je été heureux de vous voir vous-même! Vous me témoignez le même désir, en me disant les craintes que vous inspirent l'état du pays que le Seigneur a honoré de sa présence, ainsi que les dangers qui menacent une ville arrosée de son sang. Oh! malheur à nos princes chrétiens! ils n'ont rien fait de bon dans la terre sainte, et ils ne se sont hâtés de revenir chez eux que pour se livrer à toutes sortes de désordres, insensibles à l'oppression de Joseph. Impuissants pour le bien, ils ne sont, hélas! que trop puissants pour le mal. Pourtant j'espère que le Seigneur ne rejettera pas son peuple et n'abandonnera pas son héritage à la merci de ses ennemis; son bras est assez puissant pour le secourir et sa main toujours riche en merveilles; l'univers reconnaîtra qu'il vaut mieux encore mettre sa confiance en Dieu que dans les princes de la terre. Vous avez bien raison de vous comparer à une fourmi; que sommes-nous autre chose avec toute la peine et la fatigue que, pauvres humains, nous nous donnons pour des choses inutiles ou vaines? Qu'est-ce que l'homme retire de tant de peines et de travaux à la face du soleil? Portons nos visées dans les cieux, et que notre âme aille par avance là où notre corps doit la suivre un jour. C'est ce que vous faites, mon cher André, c'est là que sont le fruit et la récompense de vos travaux. Celui que vous servez sous le soleil habite plus haut que les cieux, et si le champ de bataille est ici-bas, la récompense du vainqueur est là-haut; car ce n'est point sur cette terre qu'il faut chercher le prix de la victoire, il est plus haut que cela et la valeur en est supérieure à tout ce qui se rencontre dans les bornes de cet univers. Il n'y, a sous le soleil qu'indigence et pauvreté, là-haut seulement nous serons dans l'abondance et nous recevrons une mesure pleine, foulée, enfaîtée et surabondante due le Seigneur versera dans notre sein (Luc., VI, 38).

2. Vous avez le plus grand désir de me voir, et vous ajoutez qu'il ne dépend que de moi que vous ayez ce bonheur, que je n'ai qu'un mot à dire pour que vous arriviez. Que vous dirai-je? Je désire vous voir, mais j'ai peur en même temps que vous ne veniez s dans cette perplexité, je ne sais à quel parti m'arrêter. Si d'un côté je me sens porté à satisfaire votre désir et le mien, de l'autre je crains de vous enlever à un pays où, dit-on, votre présence est en ne peut plus nécessaire, et qui se trouverait par votre absence exposé aux plus grands périls. Je n'ose donc vous montrer le désir de mon âme, et pourtant combien serais-je heureux de vous revoir avant de mourir! Vous êtes mieux en position que moi de voir et de juger si vous pouvez quitter ce pays sans inconvénient pour lui et sans scandale pour personne. Peut-être votre voyage en nos contrées ne serait-il pas inutile et il se pourrait, avec la grâce de Dieu, que vous ne retournassiez pas seul en Palestine; vous êtes connu et aimé par ici et il ne manque pas de gens qui se mettraient avec vous au service de l’Église. En ce cas vous pourriez vous écrier avec le saint patriarche Jacob : « J'étais seul quand je passai le Jourdain, et maintenant je le repasse escorté de trois troupes (Gen., XXXIII, 10). » En tout cas, si vous devez venir me voir, que ce soit plus tôt que plus tard, de peur que vous ne trouviez plus personne, car je m'affaiblis beaucoup et je ne crois pas que mon pèlerinage se continue désormais bien longtemps sur la terre. Dieu veuille que j'aie la consolation de jouir de votre douce et aimable présence au moins pendant quelques instants avant que je m'en aille de ce monde! J'ai écrit à la reine dans les termes que vous souhaitez, et je suis très-heureux de l'éloge que vous me faites de sa personne. Saluez de ma part votre grand maître et vos confrères, les chevaliers du Temple, ainsi que ceux de l'hôpital, comme je vous salue vous-même. Je vous prie de me recommander, à l'occasion, aux prières des reclus et des religieux qui m'ont fait saluer par vous. Veuillez être mon interprète auprès d'eux. Je salue aussi de toute l'affection de mon âme notre cher Girard (a) qui a demeuré quelque temps parmi nous et qui, dit-on, est maintenant évêque.


lettre CCLXXXVIII, son oncle André, chevalier du Temple

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome01/lettres/254-301/lettre283.htm#_Toc53399360

LETTRE CCLXXXVIII. SON ONCLE ANDRÉ, CHEVALIER DU TEMPLE

Saint Bernard

lettre à Guillaume, Patriarche de Jérusalem

 

navire en route vers la terre du vrai soleil levant où pousse le lys des vallées; fresque de la chapelle templière de Cressac; source photo:http://www.insolite-asso.fr/spip.php?article138

 

A son vénérable seigneur et très-cher père, par la grâce de Dieu patriarche de Jérusalem, Bernard, abbé de Clairvaux, salut avec l'esprit de vérité qui procède du Père.

1. Je profite de l'occasion que me fournit notre ami commun, le fidèle messager qui doit vous remettre cette lettre, pour vous écrire quelques mots; mes nombreuses occupations ne me permettent pas de faire plus. Si ma démarche paraît indiscrète, la charité qui m'inspire de la tenter sera du moins mon excuse : mais pour ne pas dépasser les bornes que je me suis prescrites, permettez-moi d'en venir de suite au fait. Le Créateur., voulant montrer la profondeur de ses desseins de salut pour les hommes, les aima au point de leur donner son Fils unique; fait homme pour les hommes, ce Fils appela à lui ceux d'entre nous qu'il voulut, et ce choix de prédilection leur valut en même temps un amour privilégié de sa part; mais dans le nombre, il y en eut de plus aimés les uns que les autres, qu'il s'attacha par un choix particulier. Or, parmi ces derniers, c'est-à-dire parmi les élus d'entre les élus, Jésus en distingua encore un plus que tous les autres, pour le faire le favori de son cœur, et le substituer à sa place du haut de la croix où, les mains étendues vers le ciel, il consommait le sacrifice du soir avant de remettre son âme entre les mains de son Père, et tel qu'un frère plein de confiance en son frère, Dieu vierge il recommanda la vierge mère au disciple vierge. Peut-être me demandez-vous où je veux en venir avec ce préambule; écoutez, le voici.

2. De tant de prélats que le Seigneur honore de son sacerdoce et place à la tête de son peuple comme des chefs qui doivent le conduire, c'est vous que par une faveur particulière, il a placé dans la vraie maison de David son serviteur. Oui, de tous les évêques du monde, vous êtes le seul à qui il ait confié la garde de l'heureux pays où naquit l'arbre de vie par excellence, celui qui se couvre de fruits selon sa nature, et au pied duquel poussent les fleurs des champs et les lys de la vallée. Oui, vous êtes entre tous son pontife intime, celui qui tous les jours entre dans sa tente et l'adore à l'endroit même qu'il a marqué de l'empreinte de ses pieds. Il est dit que Moïse reçut un jour du Seigneur l'ordre de dire aux Israélites : « Otez la chaussure de vos pieds, car le lieu où vous êtes est saint (Exod., III, 5.) » Quelle différence en faveur de celui où vous habitez! Si l'un était saint, l'autre l'est deux fois plus; si le premier fut sanctifié par des figures et des ombres, le second l'a été par la Vérité même. Quelle proportion y a-t-il entre la figure et la vérité, entre ce qu'on ne voit qu'en énigme et comme une figure réfléchie par un miroir, et cette splendeur qui se manifeste enfin à découvert et sans voile? Néanmoins, quoique toutes ces choses ne se passassent alors qu'en ombres et en figures, Dieu disait à Moïse : « Ôte la chaussure de tes pieds, car le lieu où tu te trouves est saint. » N'ai-je pas plus de raison de vous dire également : Déposez vos sandales, la terre que vous foulez aux pieds est sainte! Ce qui veut dire: Si votre cœur est empêché dans sa marche par les lourdes chaussures des œuvres de péché, hâtez-vous de les débarrasser de leurs entraves, en vous rappelant que la terre où vous êtes est sainte. Qui ne se sentirait ému d'une crainte respectueuse en foulant aux pieds ces contrées où les entrailles de la miséricorde de Dieu se sont ouvertes sur nos têtes et ont permis au vrai Soleil levant de venir du haut du ciel à nous pour nous visiter (Luc., I, 78) ; où le Père a tendu les bras à son Fils bien-aimé et l'a comblé de ses plus doux baisers quand il est revenu d'un monde si peu fait pour lui? Il me semble impossible de se défendre d'un secret tremblement en touchant cette terre où le Père de toutes consolations et d'infinies miséricordes a daigné verser sur nos blessures le vin et l'huile qui devaient les cicatriser, ce pays qui l'a vu sceller son alliance avec nous. Soyez à jamais béni, Seigneur, d'avoir opéré le salut des hommes au sein de cette heureuse contrée et au milieu des temps et de nous y avoir montré un visage apaisé. N'est-ce pas le cas de dire avec le Prophète : « Votre colère cédera le pas à la miséricorde (Habac., III, 2) ? » On ne peut nier que cette terre ne soit bien autrement ennoblie et sanctifiée que celle où se trouvait Moïse, car c'est vraiment la patrie du Seigneur, c'est là qu'est né Celui qui est venu dans l'eau et dans le sang (I Joan., V, 6), non pas seulement dans l'eau comme Moïse, mais dans l'eau et dans le sang. On peut dire en montrant cette contrée aux hommes: Voilà où l'on a déposé son corps. Après cela je me demande qui est-ce qui osera monter sur la montagne du Seigneur et s'arrêter à l'endroit même qu'il a sanctifié? Ce ne peut être qu'un homme qui, à l'école du Seigneur Jésus, est devenu doux et humble de cœur comme lui.

3. Oui, il n'y a que les humbles qui puissent monter sans crainte sur la montagne du Seigneur, par la raison qu'ils ne sauraient tomber. L'orgueilleux monte et s'élève certainement aussi, mais ce n'est pas pour longtemps, il semble qu'il ne peut se tenir d'aplomb sur ses jambes; il est vrai qu'il n'a qu'un pied, encore n'est-il même pas à lui, car c'est le pied dont le Prophète a dit: « Dieu me garde à jamais d'avoir le pied de l'orgueil (Psalm. XXXV, 12) ! » On peut bien dire, en effet, qu'il n'en a qu'un, l'amour de sa propre excellence; on comprend donc qu'il ne puisse se maintenir longtemps debout sur ce pied unique; aussi voyez comme sont tombés tous ceux qui n'en avaient pas d'autres, les anges dans le ciel et l'homme sur la terre. Dieu n'a point épargné l'arbre qu'il destinait à faire touche, il a puni l'homme qu'il avait créé plein de gloire et de grandeur, pour lui donner l'empire du monde au sortir de ses mains divines; bien plus, il a sévi sur les anges eux-mêmes, ses premières créatures, qu'il s'était plu à faire riches en sagesse, admirables de beauté, et je ne craindrais pas d'être puni pour la même faute, moi obscur habitant d'une vallée de larmes, bien différente, hélas ! du paradis de délices et située si loin du ciel ! Voulez-vous donc être sûr de ne pas tomber, soyez humble, appuyez-vous non sur l'unique pied de l'orgueil, mais sur les deux pieds de l'humilité ; rien ne pourra vous ébranler en quelque endroit que vous vous posiez. De ces deux pieds, l'un est la pensée de la puissance de Dieu, l'autre est la conviction de notre propre faiblesse. Que ces pieds-là sont beaux à voir, qu'ils sont fermes à la marche ! Ils ne savent ce que c'est que de s'avancer au milieu des ténèbres de l'ignorance ou de se souiller de la boue des passions. Au lieu donc de vous laisser aller à des sentiments de vaine gloire et d'orgueil, à cause du poste élevé que vous occupez, ne cessez de vous humilier sous la main puissante de celui qui foule aux pieds la tête des hommes glorieux et superbes. Songez que l’Église qui vous est confiée a été remise entre vos mains, non comme une esclave dans celles d'un maître, mais, pour en revenir au début de ma lettre, comme une mère à son fils, comme Marie à saint Jean, et faites en sorte qu'on puisse dire à cette Eglise en parlant de vous: « Femme, voilà votre fils; » et à vous, en parlant de votre Eglise : «Voici votre mère. » Il n'est pas de plus sûr moyen pour vous de remplir dignement tous les devoirs de votre place et de vous élever vers le royaume de celui qui, tout grand qu'il est, jette ses regards de prédilection sur tout ce qu'il y a de plus petit dans le ciel et sur la terre.

lettre CCCXCIII. à Guillaume, Patriarche de Jérusalem

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome02/lettres/364-404/lettre392.htm#_Toc53474703

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