Le Trésor des Templiers

 

photo jo schmit

 

Ce sont les noms des frères qui se sont enfuis : Frère Richard de Montcler, fils de la sœur de monseigneur Fogue de Rigni, et séjour dans la marche d'Allemagne, dans le comté de Montbéliard ; de même, Clarembaut de Conflans, séjournant avec le dit frère Richard ; de même frère Renaud de la Foillie, tous Bourguignons. Frère Guillaume de Lins ; frère Hugues de Châlon ; frère Hugues d'Aray ; Frère Baraus, commandeur du Puy ; Frère Géraudon, fils de monseigneur Géraud de Chateauneuf, séjournant à Grisignan près du comté de Venétie ; frère Gérard de Villers qui est armé avec 40 frères ; frère Humbert Blanc qui est en Angleterre ; frère Adam de Wallaincourt ; frère Pierre de Boucli, dans la marche d'Allemagne.

Rapport de police des officiers du roi. Bibliothèque Nationale de France, ms lat. 10219, fol 84

 

 

A la fin de l'année 1306, le Grand Maître des Templiers Jacques de Molay, naviguant depuis l'île de Chypre, débarque à Marseille avec 60 chevaliers et tout le trésor des Templiers. Il est accompagné par plusieurs dignitaires de l'ordre, comme le grand commandeur de Chypre, Raimbaud de Caron, Geoffroy de Charnay, commandeur de Normandie, Fréderic de Salm, maître d'Allemagne.  Ces hommes faisaient partie du cercle rapproché du Grand Maître, mais le templier en qui Jacques de Molay avait le plus confiance était le frère Gérard de Villers,  visiteur général. Le Grand Maître l'avait élevé à cette charge de confiance au détriment du frère Hugues de Pairaud, le grand rival de Jacques de Molay au sein du chapitre général. Jacques de Molay confiera une mission des plus sensible à Gérard de Villers: celle d'assurer la sécurité du trésor des Templiers.

 

Les relations de l'ordre avec le roi de Chypre Henri II étaient au plus mal. Le Grand Maître craignait un coup de force de ce dernier contre les biens du Temple. Jugeant les forteresses de Chypre trop peu sures, il décida de faire suivre le Trésor Général de l'ordre avec son armée. Pour remplir sa mission, Gérard de Villers, alors maître de France, sélectionna 40 chevaliers parmi les meilleurs de toute la chevalerie du Temple. Des chevaliers en qui il avait toute confiance et qui étaient prêts à se sacrifier comme un seul homme pour protéger le trésor de l'ordre.

 

Bien lui en pris, car dans l'année 1302 le Trésor Général du Temple avait suivi son armée sur l’îlot de Rouad. Seulement au petit matin du mois de septembre, une flotte de seize navires des Mamelouks d’Égypte débarque en deux points de l'îlot. Les Templiers, surpris par cette attaque maritime, réagissent en catastrophe. Gérard de Villers et ses hommes se battent comme des lions. A la fin de la journée, l'attaque Mamelouk est repoussée au prix de lourdes pertes.

 

La flotte égyptienne put se replier dans le port de Tortose qui n'était qu'à trois kilomètres de l'îlot. Pendant la nuit, Gérard de Villers décide avec les quelques chevaliers qui lui restaient d'évacuer le trésor de l'ordre vers l'île de Chypre.

 

Le lendemain, les Mamelouks reprirent leur assaut. Les Templiers, acculés dans leurs fortifications, se retrouvèrent vite encerclés et furent poussés à une humiliante reddition. On était le 26 septembre 1302.

 

Gérard de Villers confirmait toute la confiance que le Grand Maître avait mise en lui, et c'est grâce à sa présence d'esprit et à sa détermination que l'ordre échappa à l'une des plus grandes catastrophes de son histoire en sauvant son trésor. C'est probablement ce fait d'armes qui lui vaudra sa promotion au titre de Visiteur Général.

 

Au chapitre provincial tenu à Paris le 2 février 1307, le frère Renaud de la Folie accusera Gérard de Villers  d'être responsable de la perte de l'îlot en étant parti avec ses amis juste avant l'assaut final. il faut replacer ces accusations dans le contexte des rivalités politiques opposant le parti du maître de France, Hugues de Pairaud qui dirigeait ce chapitre provincial, avec celui du grand-maître Jacques de Molay. La province de France, conduite par Hugues de Pairaud, était en quasi sécession contre l'autorité du grand-maître. Cette attitude était encouragée par le roi de France, et plus discrètement par le pape Clément V, qui cherchait à obtenir la fusion de l'ordre des Templiers avec celui des Hospitaliers. La tenue du chapitre provincial était l'occasion de fourbir ses armes en vue du chapitre général qui se tiendra dans l'enclos du Temple de Paris le 24 juin 1307. C'est d'ailleurs suite à ce dernier chapitre général que Jacques de Molay sera contraint de demander au pape Clément V une enquête sur les rumeurs concernant l'ordre. Pour la petite histoire, on remarque que malgré les effets de manche de frère Renaud de la Folie, ce chevalier figure sur la liste des Templiers qui se sont volatilisés juste avant l'arrestation.

 

L'arrivée en France de Jacques de Molay avec sa forte troupe et le trésor du Temple a été beaucoup commentée par les historiens. Jules Michelet décrira un monstrueux trésor de 150 000 florins d'or. En réalité personne n'est capable d'évaluer la quantité exacte d'or contenue dans ces coffres qui selon d'autres historiens étaient transportés par douze chevaux.

 

Si l'on en croit la chronique du templier de Tyr, le roi de France Philippe le Bel aurait été capable d'extorquer au cours de l'année 1306, 400 000 florins d'or sur le Trésor du Temple de Paris . Il a sans doute bénéficié dans cette affaire de la double complicité du trésorier Jean du Tour et celle du maître de France Hugues de Pairaud. Quand vers le mois de mars 1307 Jacques de Molay voulut chasser le frère Jean du Tour de l'ordre, le roi de France et le pape s'y opposeront avec succès.

 

Même si le Temple de Paris était la place financière la plus importante des Templiers en Occident, on admettra que le Trésor Général, qui était alimenté par les revenus de toutes les provinces de l'ordre, devait être de valeur au moins égale sinon bien supérieure à celle de la province de France.

 

Mais au-delà du numéraire en or et en argent qui servait essentiellement à lever des armées ou à établir des fortifications, la véritable valeur du Trésor Général était constituée par les pièces d’orfèvrerie accumulées depuis deux siècles en Terre Sainte. C'était ces objets sacrés, en métal précieux, servant à la liturgie dans les sanctuaires de Terre Sainte. C'était ces reliquaires en or sertis de pierres précieuses, ces bijoux et diadèmes - comme la fameuse couronne du Roi des Derniers Jours déposée dans le Trésor Général de l'ordre par le Templier Raymond II de Baux en 1200 à Saint-Jean d'Acre.

 

Toutes ces pièces, d'une inestimable valeur étaient la mémoire de l'histoire des États Latins de Terre Sainte. Elles étaient comme le parement d'une certaine idée de la citoyenneté portée par la cité du Salut qu'est Jérusalem – idée qui empoisonnait l'existence de ces monarchies héréditaires qui gouvernaient au nom du droit divin.

 

Aujourd'hui, il est à la mode d'écrire que les Templiers étaient pauvres et sans le sou. Mais franchement, ce genre d'affirmations aurait bien fait sourire en ce début de XIVème siècle. Cela faisait quinze ans, depuis la chute du port de Saint-Jean d'Acre, que l'ordre accumulait des revenus qui se trouvaient en grande partie inemployée après leur repli sur l'île de Chypre.

 

Si les officiers du roi de France n'ont rien trouvé lors de l'arrestation des Templiers, ce n'est pas parce qu'ils étaient pauvres mais tout simplement parce qu'ils étaient depuis longtemps avertis de leur arrestation. Ils ont bien entendu eu tout le loisir de prendre leurs dispositions pour préserver leur trésor.

 

L'attitude du maître de France, Hugues de Pairaud, est à cet égard assez révélatrice. Avant l'arrestation, Hugues de Pairaud, confia un petit coffre au commandeur des maisons de Dormelles et de Biauvoir nommé Pierre Gaudès. Le commandeur remis lui-même le coffre à un pêcheur de Moret-sur-Loing. Ce petit coffre contenait 1189 pièces d'or et 5010 pièces d'argent. Nous le savons car, après l'arrestation des Templiers, le pêcheur remis le coffre au bailli royal Guillaume de Hangest.

 

Seulement, dans les archives secrètes du Vatican, existe un recueil des interrogatoires de Templiers réalisé par des notaires apostoliques dans les années 1308-1309. Dans ce recueil en latin, à la cote Reg. Aven. 48 tome I, on y lit la déposition du frère templier Jean de Châlons – qui est sergent et non chevalier. Dans sa déposition, il prétend d'abord avoir cherché à s'opposer à la fuite de frère Gérard de Villers à la tête de 50 chevaux. C'était probablement ses 40 chevaliers et les 10 chevaux portant les coffres du Trésor Général. Selon ce qu'il a entendu dire, ils auraient pris la mer avec dix-huit galères. Ensuite, il affirme que le frère Hugues de Châlon s'était enfui avec tout le trésor de frère Hugues de Pairaud. Précisons qu'Hugues de Châlon était le neveu du maître de France Hugues de Pairaud.

 

Le témoignage du sergent Jean de Châlons à propos du trésor d'Hugues de Pairaud comparé aux faits que nous connaissons concernant le petit coffre que ce même Hugues de Pairaud avait donné au commandeur de Dromelles et de Biauvoir, n'a qu'une explication : le maître de France avait imaginé un stratagème pour détourner l'attention des officiers du roi de France et couper court à toutes question à venir concernant la destination des fonds étant sous sa charge.

 

Le coffre confié au commandeur de Dormelles était voué à être retrouvé pour berner les officiers du roi. Quant au vrai trésor d’Hugues de Pairaud , dont les coffres devaient contenir plusieurs dizaines de milliers de pièces d'or et d'argent, il le confia à Hugues de Châlon qui,  si on interprète bien  le rapport de police, se serait réfugié à Grisignan près du comté de Venétie.

 

L'histoire ne dit pas si les officiers du roi de France furent dupes de la manœuvre.

 

Article en préparation

Jean-Pierre Schmit

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